vendredi 10 décembre 2010

Introduction

« Dans un monde où les scientifiques de demain ne seront plus seulement européens et américains mais aussi bien chinois, japonais, indiens ou pakistanais, la manière dont évoluera le face-à-face entre religions et science déterminera l’avenir de l’homme. » (Claude Allègre, Dieu face à la science, Fayard, 1997, p. 221)
Je crois, comme beaucoup de scientifiques, que l’homme peuplera les autres planètes, qu’il parviendra à vivre aussi longtemps que l’univers, qu’il se transformera en esprit du cosmos. Sans ce grand idéal, nos efforts créatifs sont vains et la vivre n’en vaut pas la peine.
Il est impossible de prévoir l’évolution future de l’homme, de l’intelligence et de la spiritualité. Mais une chose est claire : la Science et la Religion qui jouent les rôles si importants dans la société humaine doivent se reformer et revoir leurs relations.
En 1994, 71% des Français de 18 ans et plus estiment que « de nos jours, chacun doit définir lui-même sa religion indépendamment des Eglises », seulement 16% d’eux sont d’accord avec la proposition : « Il n’y a qu’un seule religion qui soit vraie » (Jean-Paul Willaime, Sociologie des Religions, Paris, PUF, 1995, p. 101-102). Ainsi l’individualisation est un des traits les plus marquants des nouvelles manières de croire. En même temps ce n’est pas un fait totalement nouveau car une certaine liberté de l’interprétation personnelle existe dans tous les systèmes religieux.
Dans ce texte je décris ma religion personnelle et j’expose mes idées sur les relations entre religions et science. Ma conception du monde me permet d’avoir les discussions enrichissantes avec les représentants des différents courants scientifiques et religieux. C’est une tentative de rapprochement de la religion traditionnelle des peuples turco-mongols et de la conception scientifique du monde. Ce rapprochement est relativement facile car il s’agit d’une religion pas fortement dogmatisée et déjà très sécularisée. 

Ma Sibérie

Je tiens à l’explication scientifique du monde et en même temps je crois à ma manière à Tangra, dieu des peuples turco-mongols car je suis Sakha de la Sibérie. La culture traditionnelle sakha est une synthèse des composantes turco-mongoles et arctiques; la mentalité du peuple est fondée sur le respect de la nature, sur l'harmonie avec l'environnement. Sous nos yeux, en Yakoutie, se développe un processus intensif, de nouvelles synthèses de la culture traditionnelle et de la culture scientifique.

Cavaliers du Grand Nord

On ne sait toujours pas aujourd'hui quand et comment les premiers cavaliers, parlant des dialectes turcs et mongols, trouvèrent les pâturages qui s'étendent dans les vallées de la Léna, si éloignées pourtant des steppes de la Sibérie du Sud.



La population autochtone qui vivait de la chasse et de l'élevage des rennes dans la taïga, la toundra et les montagnes, permit aux nouveaux venus de s'installer dans les vastes pâturages dont elle n'avait pas besoin. Elle échangeait des fourrures contre des produits d'artisanat.
Bien avant l'arrivée des Russes, les descendants de ces groupes turcs et mongols, avec une partie des tribus toungouses et paléoasiatiques, se consolidèrent en un nouveau peuple Sakha. Ce peuple, plus connu à présent sous le nom déformé de Yakoute, compte aujourd'hui environ de 500 000 personnes et occupe un immense territoire de plus de 3 000 000 km² dans le nord-est de la Sibérie.
Le pays des Sakhas (Yakoutie) resta longtemps "forteresse sans murs" principalement en raison de son climat extrêmement sévère. Les relations des Sakhas avec les autres peuples turcs et mongols furent coupées avant l'adoption par ces derniers de la religion musulmane ou bouddhiste. Ainsi isolé, le peuple Sakha va connaître un développement culturel et intellectuel tout à fait original en conservant des traditions très anciennes, disparues depuis longtemps en Asie Centrale et en Mongolie.



C’est pourquoi les Sakhas présentent un intérêt notable pour la reconstitution du mode de vie et de pensée des anciens cavaliers des steppes qui, aux époques d’Attila et de Gengis Khan, ont joué un si grand rôle dans l’histoire mondiale.



Ainsi, dans les grands poèmes épiques de tradition orale s'ouvre un univers tout à fait extraordinaire, non seulement pour le lecteur étranger, mais parfois pour les Sakhas contemporains eux-mêmes.
Le pays des ancêtres des Sakhas dans ces épopées n’est pas dans le Grand Nord mais plutôt non loin de la mer Aral :
«Je regarde vers l’Ouest, là je vois la mer Aral, elle ne cesse de sonner ses lames. Cette contrée, dont on ne connaît pas les bords, est d’une incomparable beauté.»
Mais ce pays est en danger :
« Les ennemis commencent à offenser notre Pays du Soleil et veulent détruire les heureux habitants et leur bétail. »
Mais les guerriers sont prêts à défendre leur pays :
«Ceux pour qui le mot «ma patrie» n’est qu’un son, pour qui les steppes natales ne sont pas plus chères que les champs fertiles des pays étrangers, ne sont pas de vrais batyrs, chevaliers des steppes !»
«Pour un homme, il est honteux de mourir vieux dans son lit d’une maladie banale. Quelques gouttes de sang pour la patrie, un petit tas de matière pour la terre, voilà la mort digne d’un vrai chevalier !»
Les batailles sont réglementées même dans le cas où l’adversaire est un monstre. Les idéaux de la noblesse, de la gloire sont prioritaires pour les héros, ils pensent aussi à leur prestige posthume pour les générations futures, ce qui est très important pour eux. Même les monstres préfèrent mourir, plutôt que s’humilier devant les vainqueurs et perdre ainsi leur prestige.
Le poème épique est rempli de scènes de poursuite et des exploits fantastiques des guerriers nobles. Le récit se termine par le mariage du héros principal, ses noces qui sont en même temps la fête de la victoire. La chamane divine les bénit :
«Que les récompenses et les châtiments soient distribués, que les massacres soient terminés, et que le destin noir s’éloigne. Vivez dans la paix pour avoir un bétail fécond, pour construire des berceaux à vos enfants.»

Je suis né en Yakoutie Centrale. Mes parents étaient à l'époque très jeunes (20 ans), mon père faisait ses études dans un collège maritime, ma mère était comptable. Après ses études prises en charge par l'Etat, mon père devait travailler trois ans dans la flotte de pêche dans le delta de la Léna dans le Grand Nord.
Ainsi mes premiers souvenirs d'enfance sont les espaces infinis de toundra couverts de petites fleurs et le grand fleuve Léna (longueur 4 300 km).
La situation de la Yakoutie en Russie ressemble à la situation du Québec au Canada. La Yakoutie Centrale ressemble un peu au Québec du Sud. Pour mes parents, la vie dans le Grand Nord était donc une expérience passionnante.
En effet, la Yakoutie Centrale, avec ses vastes pâturages et prairies, ses oasis de steppes, ses troupeaux de chevaux et de vaches, ressemble davantage à l'Asie Centrale ou à la Mongolie, qu'à une région du Grand Nord. La population ici est plus dense. On peut, d'un village, voir le village voisin, ce qui est impossible dans la Yakoutie du Nord où les villages sont séparés par des dizaines ou des centaines de kilomètres. En été, les températures montent jusqu'à 38° C et même 40° C, mais l'hiver est plus froid que sur le bord de l'Océan Arctique.
Mais, même en Yakoutie Centrale, au milieu de l'été torride, quand l'herbe est fanée sous les rayons d'un soleil qui ne se couche que très peu, le sol est gelé en permanence à une profondeur d'un mètre à un mètre cinquante. Sous chaque maison il y a une cave froide où les habitants gardent leurs stocks d'aliments et de l'eau potable sous forme de glace.
Ainsi, tout le territoire de la Yakoutie est couvert par la congélation éternelle comme par une cuirasse. Son épaisseur atteint 1500 mètres. Cette abondance de sols gelés s'explique par l'existence sur le territoire du pôle du froid de l'hémisphère boréal. La Yakoutie est ouverte aux masses d'air du Nord ; des chaînes de montagnes empêchent la pénétration de l'air chaud du Pacifique et de la Chine.


Don d’enfance

La navigation dans la basse Léna ne dure que 3-4 mois. En hiver, mon père travaillait comme technicien (radio et groupe électrogène) dans les villages.
L'hiver polaire dure huit mois. Quand le vent est assez fort, il se produit souvent un phénomène spécifique des régions polaires : la "poudrerie". Pendant sa durée, qui peut être de plusieurs jours, la poudrerie réduit considérablement la visibilité et interrompt tout déplacement et finit parfois par ensevelir les habitations.
Pendant quelques mois d’hiver le soleil ne se lève pas : c’est la nuit polaire. Quand le ciel n’est pas couvert des nuages, on peut admirer les aurores boréales qui sont intenses et splendides dans le delta de la Léna. Mais, dès le dégel, début juin, la nature se réveille en sursaut ; les glaces fondent. La surface du sol se gorge d'eau, la toundra s'empresse de fleurir. Le soleil oublie de se coucher à l'horizon : la journée polaire et les nuits blanches durent tout l'été.
Avec la curiosité d’un jeune enfant, j'aimais observer cette métamorphose saisissante de la nature, l'éblouissante magnificence des pelouses arctiques. Pourtant, en foulant le sol gorgé d'eau, on s'appuie toujours, à une profondeur de quelques dizaines de centimètres, sur une surface gelée dure comme la pierre. Les pêcheurs gardent souvent leur stock de poisson dans de grands réfrigérateurs naturels taillés dans les glaces souterraines. Les plus grands de ces dépôts sont constitués de plusieurs chambres et salles froides liées par des couloirs dont les murs brillent comme du cristal sous la lumière électrique.
Pour pêcher en hiver on commence par creuser pour atteindre l’eau. On casse la glace au moyen d’une grande pique en fer. L’épaisseur de la glace dépasse la hauteur d’un homme. Lorsqu’il perce la glace et atteint l’eau, il doit se sauver car l’eau sous pression commence à jaillir en sifflant.

Un hiver, nous avons habité dans un petit village très isolé (au moins à 150 km des autres villages), dans une île formée par deux bras du fleuve Léna et par l'Océan Arctique.
Je n'avais pas beaucoup de jouets et j'aimais construire des maisons avec des livres et d'autres objets. Ensuite je mettais dans ces "maisons" des "habitants" (pions du jeu d'échecs) qui représentaient nos voisins et les autres habitants de notre village. Ils menaient la vie quotidienne ordinaire et parfois un peu extraordinaire.

Je dis ainsi un jour :
- Voilà, Ammosov et ses amis, la police arrive, les arrête".
Quelques jours après les policiers arrivent de la ville de Tiksi, centre du département, et arrêtent ces messieurs. Ils ont commis un délit et personne n'était au courant.

Les villageois ne touchaient pas leur salaire en espèce (par suite de l'isolement), chaque mois un télégramme de leur société de pêche annonçait le montant de leur salaire et ils pouvaient s'approvisionner dans leur magasin dans la limite de leur salaire. Mais ces télégrammes arrivaient souvent en retard.
On commençait alors à me demander :
- Grigori, quand aurons-nous notre télégramme ?
Le plus souvent, je ne répondais pas tout de suite et continuait mes jeux. Puis, un jour, je déclarais dans le langage primitif d’un enfant :
- Le télégramme va arriver. On aura du beurre, on aura du sucre !
Et le télégramme arrivait sans faute.

Un jour j’annonçai :
- Un bateau va arriver. Khara-ol est devenu matelot.
Ma mère objecta :
- C’est impossible ! Khara-ol est un cocher, qui s’occupe toute la saison de ses attelages de chiens. Actuellement, il doit pêcher pour créer son stock de nourriture pour ses nombreux chiens. En plus, il ne parle pas russe et ne peut pas être engagé dans la flotte.
Mais un bateau arrive et à la grande stupéfaction de ma mère, elle voit Khara-ol sur le pont en uniforme de matelot.

Encore une prédiction qui semblait impossible pour mes parents :
- Grigori s’est trompé cette fois. Il dit que le fils de Marina est rentré et que Marina boit de la vodka et qu’elle est légèrement ivre.
- Ce n’est pas possible car il est en prison dans la Sibérie du Sud à 3000 kilomètres d’ici.
- Et il doit rester en prison encore quelques années.
Le lendemain, Marina, joyeuse, vient annoncer la nouvelle :
- Je suis heureuse ! Mon fils est rentré à la maison. C’est une grande surprise pour moi car je n’étais pas au courant de l’amnistie.
- Grigori nous l’a dit mais nous n’étions pas non plus au courant. Il a dit aussi que tu as bu de la vodka et a été légèrement ivre.
Marina rit :
- Evidemment ! J’étais ivre, un peu de vodka et beaucoup de bonheur.

Je cherche parfois dans les livres des explications. Télépathie, transmission de pensée ... Peut-être. J'aimerais bien avoir maintenant ce don très utile. Mais je suis d'accord avec les chercheurs qui écrivent que la voyance ne peut être qu'épisodique, pas pendant toute la vie et pas dans tous les lieux. Je ne crois pas aux prédictions des voyants professionnels.


Modernisation de la conception du monde

On dit que, probablement, j’ai perdu mon don d’enfance à cause des mes études. En effet, je suis professeur des Universités, docteur d’Etat en mathématiques, j’ai aussi une formation diplomatique et juridique approfondie. On me dit que, dès que mes activités intellectuels seront moins intenses et que j’aurai beaucoup de temps à méditer tranquillement, mon don d’enfance pourrait revenir.



De toute façon avec une telle expérience personnelle, je suis moins sceptique que beaucoup d’autres scientifiques par rapport, par exemple, aux mythes chamaniques. Je sais avec quels efforts s’effectue le progrès scientifique, comment nos connaissances sont limitées. La Science est pour moi un flambeau qui s’allume et éclaire une partie de plus en plus importante de la Réalité qui est pourtant infinie. Ainsi notre Savoir sera toujours petit par rapport à l’Inconnu ce qui laisse beaucoup de place au Mystique.
Ayant servi longtemps la Science je n’aime pas des explications sans démonstrations convaincantes des différents domaines du Mystique. Mais chacun a le droit de croire à une explication ou tenir à une conception du monde si sa croyance ou sa foi ne porte pas un préjudice direct aux autres. C’est pourquoi je ne m’intéresse pas des discussions sur l’existence ou non du Dieu (Tangara ou Tangra en sakha) et je crois à ma manière à Tangra.
Tangra est, pour moi, l’ensemble de tous les champs et les forces inconnus et de leurs sources, capables d’aider l’homme. C’est aussi un symbole qui me permet de mobiliser mes ressources intérieures connues et inconnues. Mes ancêtres étaient tangraïstes et je suis content de perpétuer sur les bases modernes les traditions d’une culture originale et étonnement tolérante.

Pendant les XIX-XX siècles la religion traditionnelle des Sakhas a subi la pression d’abord de la part de l’Eglise orthodoxe, puis du pouvoir soviétique. Mais les coutumes tangraïstes (vénération du Ciel et du Soleil, du feu, des lieux sacrés) et le code moral traditionnel restent toujours vivants.
Encore au début du XX siècle les Sakhas étaient un peuple à la philosophie chamanique aussi intacte que possible. Actuellement les Sakhas ont un niveau d’éducation élevé. Il passe le processus de la modernisation de la religion traditionnelle qui la rend compatible avec la conception scientifique du monde.
Dans cette modernisation nous jetons un regard attentif sur les témoignages historiques sur les croyances traditionnelles des peuples turco-mongols car tous ces peuples croyaient autrefois à Tangra (Tengri, Tanri).
Notons que la majorité des tribus sakhas sont venues au Grand Nord après le XIV siècle, qui a été marqué par l’effondrement de l’Empire mongol. Plus de 30% des mots sakhas sont d’origine mongole. Gengis Khan est divinisé par nos ancêtre.

Tangraïsme classique

Sur les monuments, érigés au VIII siècle sur les bords de la rivière Orkhon, les souverains des Turcs de la Sibérie et de la Mongolie se déclarent : « semblable à Tengri et issu de Tengri ». Loin à l’occident, les guides expliquent aux touristes visitant les ruines de Choumen, la première capitale de la Bulgarie : « Ce sont les fondations d’un temple de Tengri ». 


Religion de Gengis Khan

Après la victoire contre le khan Torghril, son redoutable concurrent, Gengis Khan a déclaré : « C’est avec l’aide et la protection de l’Eternel Tengri que j’ai vaincu les Kereyit et atteint le rang suprême. » Son petit-fils Hülegü a écrit à Saint Louis, rois de France : « Dieu s’est adressé à notre aïeul, Gengis Khan, son fils. »
Il y a encore plusieurs lettres des khans mongols qui parlent de leur religion. Voici, par exemple, un extrait de la lettre du Grand khan Güyük au pape romain Innocent IV datée du 11 novembre de 1246 :

« Dans la force de Dieu, depuis le levant jusqu’au ponant, tous les territoires nous ont été octroyés. Sauf par ordre de Dieu, comment quelqu’un pourrait-il rien faire ? A présent, vous devez dire d’un cœur sincère : nous serons vos sujets, nous vous donnerons notre force. Toi, en personne, à la tête des rois, tous ensemble sans exception, venez nous offrir service et hommage. A ce moment-là, nous connaîtrons votre soumission. Et si vous n’observez pas l’ordre de Dieu et contrevenez à nos ordre, nous vous saurons nos ennemis. »
Guillaume de Rubrouck cite la lettre du Grand khan Monka à Saint Louis, écrite en 1254 :

« Voici le précepte du Dieu éternel. Au ciel, il n’y a qu’un seul Dieu éternel et, sur la terre, il n’y a qu’un seul maître, Gengis Khan … Lorsque par la puissance du Ciel éternel, du lever du soleil jusqu’à son couchant, le monde entier sera uni dans la joie et la paix, alors apparaîtra ce que nous aurons à faire. »

Rubrouck était témoin d’une déclaration intéressante de Monka : « Nous autres Mongols, nous croyons qu’il n’y a qu’un seul Dieu par qui nous vivons et par qui nous mourrons et nous avons envers lui un cœur droit … Mais comme Dieu a donné à la main plusieurs doigts, de même il a donné aux hommes plusieurs voies. »
Ces documents montrent qu’à l’époque de l’Empire mongol l’interprétation monothéiste de la religion tangraïste était dominante. Cette religion servait à l’idée de l’union des peuples « dans la joie et la paix ».

Le prince Nikolaï Troubetskoï dans son livre « L’héritage de Gengis Khan » (Moscou, 1999) souligne le grand rôle des peuples turco-mongols dans le développement de l’Etat russe :

« On sait bien que la Russie a été incluse dans le système financier de l’Etat mongol et le fait que beaucoup des mots russes d’origine mongole et tatare (par exemple « kazna » - « trésor », « kaznatcheï » - « trésorier », « denga » - « monnaie », « tamoznia » - « douanes » …) sont toujours utilisés dans ce domaine montre que le système financier mongol n’a pas seulement été bien adopté mais a survécu à la domination tatare… S’il existe une telle continuité entre les Etats mongol et russe dans les domaines si importants comme le système financier, la poste et le transport, on peut naturellement supposer l’existence de la continuité similaire dans la construction de l’appareil administratif, dans l’organisation de l’armée, etc. »

Citons l’opinion de Troubetskoï sur le système de Gengis Khan. Je partage cette opinion et je peux l’expliquer sans cette citation. Mais, exprimée par un représentant éminent d’un peuple dominé autrefois par les turco-mongols, elle est plus convaincante :

« Gengis Khan était un grand conquérant mais aussi un grand organisateur. Etant un grand homme d’Etat, il ne se bornait pas à des tâches courantes, mais il appliquait ses idées et ses principes qui composaient un système harmonieux…
Gengis Khan avait des exigences morales par rapport à ses subordonnés : des hauts dignitaires et des chefs de guerre supérieurs aux simples guerriers. Il appréciait beaucoup et encourageait la fidélité, le dévouement et le courage ; les défauts qu’il méprisait profondément étaient la trahison et la lâcheté … après chaque victoire sur un roi ou un autre souverain, le grand conquérant donnait l’ordre d’exécuter les dignitaires et les courtisans qui avaient trahi leur maître … Et au contraire, après la conquête d’un nouveau royaume ou d’une principauté, Gengis Khan récompensait et approchait à lui tous ceux qui restaient fidèles à l’ancien maître de ce pays, malgré une situation désespérée et dangereuse. Car la fidélité et la fermeté de ces hommes montraient leur appartenance au type psychologique sur lequel Gengis Khan voulait fonder son système étatique. Pour les hommes de ce type psychologique, apprécié par Gengis Khan, leur honneur et leur dignité est plus importantes que leur sécurité et leur richesse. »

Le prince russe décrit la noblesse de Gengis Khan dans les termes suivants :

« Ils ont dans leur conscience un code de conduite des hommes honnêtes et respectables ; ils tiennent à ce code, le respectent religieusement comme aux règles sacrées et ne peuvent pas le violer car le manquement à ce code aurait entraîné le mépris de soi-même ce qui pour eux est pire que la mort. En se respectant, ils respectent les autres qui tiennent le même code de conduite …un homme de ce type se considère comme appartenant à un système hiérarchique subordonné par à un homme mais au Dieu… Gengis Khan, lui-même, appartenait à ce type des hommes. Même, après avoir vaincu tous et tous le monde, après être devenu le souverain du plus grand Etat dans l’histoire de la Terre, il continuait de le sentir vivement et était conscient de sa soumission totale à la volonté supérieure, il se considérait comme un instrument entre les mains du Dieu. »



Religion d’Attila

Les Mongols continuaient de respecter les anciennes traditions des peuples des steppes. René Grousset écrit dans son livre « L’empire des steppes » (Payot, 1965) : « Hun, Turc ou Mongol, l’homme de la steppe, le brachycéphale à la grosse tête, au torse puissant, court sur jambes, le nomade toujours en selle … n’a guère varié à travers quinze siècles de razzias au détriment des civilisations sédentaires (Grousset, p. 119).

Je vais commenter les extraits « religieux » de mon roman « Les amis d’Attila ». Je commence par mon interprétation du nom du peuple hun :

« Sabir les attend dans la résidence de l’ambassade, une grande maison octogonale:
- Je suis ici depuis longtemps. Racontez-moi, comment s’est passée votre rencontre avec Kere-ko.
Oreste répond :
- Elle est très agréable et curieuse, nous avons parlé longuement. Dis-nous, Sabir, est-ce que les Taugastes qui gouvernent maintenant la Chine sont aussi des Huns ?
- Vous parlez des Tabgatchs ? Mais pourquoi vous intéressent-ils ?
- C’est incroyable que les Huns puissent gouverner un empire ancien et prestigieux !
Salvien tend l'oreille. Sabir commence avec une voix pensive :
- Je ne sais pas très bien ce qui se passe maintenant là-bas. Mais je peux vous raconter des choses intéressantes. Je m’appelle Sabir car je suis né derriere les Monts d’Oural. Ce pays s’appelle Sibir comme mon peuple Sibir ou Sabir.
- Mais vous êtes un Hun !
- «Hun» signifie «kun» ou «kun djono», c’est-à-dire «les gens du peuple du Soleil». Nous parlons tous des langues proches, avons les mêmes types de maisons, de vêtements et d’armement, croyons à Tangra. Certains prononcent ce grand nom comme «Tangara», les autres «Tangri» ou «Tengri». Mais nous sommes divisés en peuples et tribus. »

Mon interprétation est fondée sur les épopées sakhas qui chantent les exploits des ancêtres appartenant au peuple Kun (« peuple du Soleil ») dont le pays est situé entre la mer Aral et le lac Baïkal. Cette situation corresponde bien au pays des « Hiong-nou » (transcription chinoise) ou des « Khunnu » (transcription russe), des anciens Huns. Notons qu’en Asie Centrale les Huns étaient connus sous le nom du peuple « Kun ».
La langue sakha « qui a conservé de nombreux caractères archaïques constitue à elle seule une branche très importante de la famille des langues turques » (Talat Tekin et Mehmet Olmez, Les langues turques, Ankara, Simurg, 1995, p. 53). L’épopée saka est considérée, elle-aussi, comme la plus archaïque des épopées turco-mongoles.
La description des rites des anciens Huns (vénération du Ciel, du Soleil et de la Lune) renforce cette hypothèse. René Grousset pense qu’un mot tcheng-li, connu par les sources chinoises, est « la transcription du mot turc et mongol Tängri » (Grousset, L’empire des steppes, p. 54).
Je crois à ce point de vue mais je ne demande à personne d’y croire. Mais je suis persuadé sincèrement que mon interprétation est correcte.

« - Tangra est un de vos dieux ?
- C’est le Dieu unique et tout puissant. En fait, nous pensons, que les chrétiens et nous, croyons en un même Dieu. Mais je vous conseille de parler de ces questions avec nos chamans blancs.
- Tu es né au-delà des Monts d’Oural ?
- Oui, sur le bord du fleuve Irtych. J’ai été élevé par mon grand-père car ma mère est morte tôt et mon père est parti avec khan Mundzuk se battre en Occident et n’est pas rentré de la guerre. Mon grand-père était âgé, mais il était encore fort et droit, rapide dans ses mouvements. Il racontait que son père avait accompagné un chef sabir, parti en Chine sur l’invitation d’un khan hun.
Salvien s’exclame involontairement :
- En Chine ?
- Oui, en Chine. Mon arrière-grand-père a été choqué par le fait qu’un des échansons de ce khan était un empereur chinois prisonnier.
- L’empereur chinois ! s’étonne Oreste. - Comme notre pauvre empereur Valérien, pris par Sapor, roi de Perse. Valérien a été obligé de se mettre à genoux chaque fois que Sapor montait à cheval. Sapor mettait son pied sur son dos ou même sur son cou pour s’installer sur sa selle.
Sabir se souvient de la coutume des dames de la noblesse hune de monter à cheval en mettant leur pied sur le dos d’un valet qui se mettait à quatre pattes à côté du cheval. Après une pause, il dit :
- L’année suivante, il a été décapité et le roi hun a fait prisonnier le nouvel empereur qui a dû remplacer son prédécesseur dans le rôle d’échanson.
Il n’existait pas de cas similaire de capture successive de deux empereurs dans l’histoire romaine et Oreste remarque simplement :
- Valérien est mort rapidement de chagrin et de souffrances. On dit que le roi Sapor a ordonné de faire avec sa peau un mannequin comme souvenir de sa victoire mais je ne le crois pas. »

L’empereur Tsin-Houai-ti a été capturé par les Huns (Hiong-nou) en 311 et a été exécuté en 313, son successeur Tsin-Min-ti a été capturé en 316 et a été exécuté en 318 (Grousset, L'empire des steppes, p. 97).

« Etonné, Sabir regarde les Romains. Silence. On n’entend que le bruit du feu dans la cheminée. Sabir sort de sa réflexion et continue son récit :
- Mon grand père a servi quelques années dans l’armée tabgatche. Il est rentré avec des armes magnifiques, le manche de son épée était en ivoire et son casque incrusté de motifs décoratifs en or. »

« Si fort fut l’impression laissée par ces conquêtes sur les peuples de l’Asie Centrale que ce fut désormais sous le nom de pays t’o-pa qu’ils désignèrent la Chine de nord et que la désignèrent à leur exemple les Byzantins eux-mêmes : Tabgatch ou Tabghâtch en turc, Tamghâdj en arabe, Taugast en grec médiéval » (Grousset, L’empire des steppes, p. 105).

« Oreste dit avec une voix un peu fatiguée :
- La Chine est loin. Nous savons peu ce qui se passe là-bas. A vrai dire cela nous intéresse peu. L’ambassade romaine n’a visité cet empire qu’une seule fois il y a quelques siècles.
Sabir réagit vivement :
- Par contre, nous, ça nous intéresse. Les peuples lointains vaincus peuvent arriver demain et commencer à lutter contre ton peuple pour ses pâturages. C’est pourquoi nous sommes au courant de tout ce qui se passe dans la Grande steppe, du Danube à la Grande muraille de Chine.
- Nous, en Italie, ne savons presque rien de ce qui se passe à côté dans les forêts d’Europe du Nord.
- Dans les forêts la situation est bien différente. Les habitants sont mal organisés, ils parlent des langues très différentes. Dans la Grande steppe tout le monde parle des langues proches, se déplacent sur des chevaux rapides, on se salue par «racontez-nous !». Et si tu n’es pas dans une mission urgente, tu dois t’arrêter pour échanger les actualités intéressantes. Ton récit doit être exact car les Huns ne savent et n’aiment pas mentir. Cette coutume s’appelle «Ouzoun koulgak» - «Les longues oreilles».
Oreste sourit :
- Aujourd’hui Kerka m’a dit aussi : «Racontez-moi ce qui se passe dans le monde romain ?»
Il jette un coup d’oeil sur Salvien et continue :
- Elle est si charmante que j’ai raconté avec plaisir tout ce que je sais. J’ai répondu avec une telle application à ses questions que j’ai oublié de lui dire que j’ai vu Attila dans mon enfance.
Sabir corrige :
- Pas Kerka mais Kere-ko! Nous sommes fiers de notre jeune khan Attila et de sa belle épouse. Que Dieu tout puissant les protège ! »

J’explique par cette coutume l’unité linguistique des Sakhas qui occupent un immense territoire. La droiture est une des qualités essentielles exigées par le code moral traditionnel.
Les noms des femmes d’Attila sont connus en transcriptions latine et grecque : Kerka, Enga, Eska, Ildigo. Je crois de reconnaître en « ka », « ga », « go » le mot « ko » des épopées sakhas. Ce mot, qui n’est plus utilisé dans la langue courante, signifié « noble et belle femme ». Alors, très vraisemblement, Kerka = Kere-ko, « kere » signifie belle », Enge = En-ko, Eska = Es-ko, Ildigo = Ildi-ko.

Jean-Paul Roux écrit dans son livre "La religion des Turcs et des Mongols" (Payot, 1984) :
« C’est un singulier contraste que celui qui existe entre l’importance historique des peuples altaïque et le peu d’études qui ont été consacré à leurs conceptions religieuses » (Jean-Paul Roux, La religion … , p. 45).
La majorité des peuples turcs est actuellement islamisée, les peuples mongols sont devenus bouddhistes. Mais les Sakhas continuent dans leur majorité de respecter les rites tangraïstes dans leur vie quotidienne. Les extraits suivants sont utiles pour la compréhension du rôle historique des peuples hunniques (turco-mongols).

« Le prince Ellak invite son professeur Onégèse et les Romains à s’asseoir autour de la grande table ronde dans une pièce du palais de Kere-ko. A treize ans, le prince, tout bronzé, a déjà l’allure d’un homme courageux et énergique. Comme un vrai Hun, le prince a la poitrine large et le ventre effacé. »

Il est interessant que le fils ainé d’Attila porte un nom purement sakha : Ellak = « celui qui possède un Etat » = « un souverain » (« El » signifie « état, union, paix »).

« Oreste demande :
- Nous somme étonnés d’apprendre que tous les peuples de la Grande steppe du Danube à la Chine parlent des langues proches et ont presque le même mode de vie.
Onégèse jette un coup d’œil sur les Romains puis regarde Ellak :
- Le prince Ellak aime les légendes et les récits historiques. Demandons-lui de répondre à votre question. Il comprend le latin assez bien mais ne parle pas encore couramment. Je l’aiderai à traduire.
Les yeux d’Ellak se remplissent d’étincelles :
- Excusez-moi, mais je préfère effectivement écouter les épopées héroïques et les légendes que d’étudier les oeuvres des auteurs grecs et latins.
Il regarde Onégèse en souriant :
- J’aime la chasse et les longs voyages. Nos ancêtres disaient que la force des Huns vient de leur fidélité aux traditions.
Oreste demande :
- On connaît les légendes sur Romulus, fondateur de Rome. En avez-vous de pareilles sur vos ancêtres ?
Ellak commence avec une certaine solennité dans la voix :
- Je vais vous parler de Modoun, premier empereur des Huns. Il a vécu il y a six siècles. C’est un récit authentique, les Chinois et les Sogdiens aussi s’en souviennent très bien. Leurs marchands visitent souvent notre pays.
Onégèse commente brièvement :
- C’était l’époque des guerres puniques, au début de la puissance de Rome. A la même époque, loin à l’est, les Huns, eux-aussi, ont jeté les bases de leur puissance.
Ellak continue :
- Modun était fils d’un roi hun. Sa mère est morte quand il était petit. Son père épousa alors une femme qui lui donna encore un garçon. La belle-mère, qui désirait que le futur roi des Huns soit son fils, décide de se débarrasser de Modun. Elle convainc le roi d’envoyer Modun comme otage à un peuple voisin. Puis elle réussit à provoquer la guerre avec ce peuple condamnant ainsi le petit prince à mort. Mais cette combinaison sordide ne réussit pas. Le garçon montre un grand courage, réussit à s’enfuir et rentre chez les Huns. Son père lui donne alors une armée de dix mille cavaliers. Modun entreprend des réformes inconnues jusqu’alors dans la Grande steppe. Le jeune prince divise son armée en détachements de mille, cent et dix guerriers, introduit une discipline de fer. Les soldats, vêtus en uniformes, avaient le même nombre de flèches.
Salvien remarque :
- A cette époque, d’abord Camille ensuite Marius ont introduit une discipline de fer dans l’armée, grâce à quoi la petite Rome a conquis l’Italie, puis tous les pays et peuples voisin.
Caustique, Onégèse intervient :
- Il reste très peu de cette discipline ! Maintenant les légionnaires n’aiment pas porter de cuirasse. Déjà, il y a trois siècles, ils ont commencé à trouver insupportable la lourdeur de leur armure, qu’ils ont portée de moins en moins, puis ils ont obtenu l’autorisation de ne plus porter casques et cuirasses. Le lourd armement de leurs ancêtres est devenu insupportable pour leurs faibles mains. Les Goths et les Alains, sans parler des Huns plus guerriers, sentent les avantages des cuirasses, ils battent facilement les soldats romains presque nus dont les têtes et les poitrines sont ouvertes.
Oreste exprime son accord :
- Malheureusement, c’est vrai. Maintenant, la jeunesse italienne tremble au son de la trompette.
Salvien le regarde avec désapprobation. Bien sûr, c’est vrai, mais pourquoi en parler aux étrangers ?
Ellak continue après une pause :
- Un jour, Modoun, pour vérifier la discipline de son armée, donna l’ordre de tirer sur sa femme aimée.
Oreste s’exclame terrifié :
- Sur sa femme aimée !
Salvien, qui n’est pas encore marié, reste plus calme et demande :
- Quel âge avait alors Modoun ?
- Environ seize ans.
Le visage d’Ellak devient maintenant sévère, presque féroce :
- Les guerriers tirent sur l’ordre, la jeune femme tombe, percée de flêches comme un hérisson. Les officiers inspectent le nombre de flêches de leurs guerriers bien rangés. Ceux, qui par pitié pour une femme, n’ont pas respecté leur devoir de soumission militaire inconditionnelle, sont retirés des rangs et décapités.
Oreste fronce les sourcils et Salvien serre les dents. Ellak continue son récit :
- Depuis, les armées hunes respectent une discipline de fer, sont divisées en divisions de dix mille guerriers, de régiments de mille guerriers et de détachements de cent et de dix guerriers. Bientôt Modun avec ses guerriers éloigne du pouvoir son père et élimine sa belle-mère. Les Huns le proclament leur roi. Il réorganise toute l’armée hune, promulgue des lois strictes et justes, vainc tous les peuples voisins et l’Empire chinois qui reconnaît l’Empire des Huns comme une puissance égale et commence à lui payer un tribut.
Onégèse confirme :
- Les lois de Modun sont devenues des coutumes et sont toujours respectées. Les Huns pensent que Modoun khan est devenu la divinité de la destinée après sa mort.
Oreste demande :
- C’est étonnant ! Quelle personnalité exceptionnelle ! Mais pourquoi les Huns sont-ils venus sur les bords de la Volga ?
Ellak explique comme un professeur d’histoire :
- La soie et l’or de la Chine corrompaient les Huns et diminuaient progressivement leurs forces. Il y a quatre siècles l’Empire hun s’est divisé en l’Empire hun d’Orient et l’Empire hun d’Occident.
Onégèse remarque :
- Comme l’Empire romain divisé actuellement en l’Empire romain d’Orient et l’Empire romain d’Occident !
Surpris, Oreste et Salvien s’exclament involontairement. Content de l’effet de son récit, Ellak continue sa leçon d’histoire de la Grande steppe :
- Puis l’Empire hun d’Orient se disloque en l’Union du Nord et l’Union du Sud. L’anarchie s’installe. C’est pourquoi, ces unions ne meritent pas le terme d’«états».
Onégèse continue ses commentaires :
- Nous verrons, ou nos enfants verront, lequel des deux empires romains se disloquera en Etat du Nord et Etat du Sud. »

Dans cet extrait le premier empereur hun porte le nom Modun. En transcription chinoise son nom est Mao-touen. « Modun » signifie « puissant » en sakha est correspond bien à l’image et aux actions de cet empereur.

« La fête du Soleil. Le grand jour pour la capitale des Huns. Avant le lever du soleil, les gens se sont rassemblés dans un lieu aménagé à l’ouest de la capitale. Tout le monde porte ses plus beaux vêtements. Sabir a conduit les Romains dans un endroit réservé aux convives de marque, situé non loin de la tente royale. Les drapeaux des tribus et des détachements militaires flottent sur les mâts. Les gens se disposent en rond, autour de leurs drapeaux, sur les tapis et sur l’herbe.
A l’est, le ciel commence à s’éclaircir et on voit le panorama de la capitale avec ses palais et ses tours décoratives. Un prêtre, appelé chez les Huns chaman blanc, sort d’une tente à l’extrémité occidentale du lieu de fête. Il est accompagné par un garçon et une fille, tous les trois sont vêtus de blanc. Le chaman tient un tambour, chacun des deux enfants, qui sont un peu derrière lui, tient une corde en cuir attachée au dos du chaman.
Sabir explique :
- Nous nous appelons «les tribus du Soleil avec les rênes dans le dos » car le Soleil pour nous symbolise Dieu qui nous dirige avec ses rayons comme nous dirigeons nos cheveaux.
- Mais alors Tangra est dieu du Soleil !
- Tangra est dieu de tout ce qui existe. Le Soleil est sa plus grande création. Il a plusieurs noms : Ulu Tangra - Grand Dieu, Urun Tangra signifie Dieu blanc, c’est-à-dire, Dieu solaire, les Sakas disent «Ard Tangra» ou «Ar Toyon Tangra».
- Que signifie le mot «ar» ?
- Beaucoup de Sakas orientaux, comme les Alains, parlent des langues qui sont différentes de celle des Huns. On dit qu’ils comprennent les Perses. Pour eux, «ard» ou «ar» signifie «dieu». »

Tangra a plusieurs noms comme le Dieu a 99 noms dans la religion musulmane : « Allah, Le Dieu Absolu qui se révèle », « Ar-Rahim, Le Tout-Miséricordieux », « Al-Djalil, Le Majestueux, qui s’attribue la grandeur du Pouvoir et la Gloire de Sa dignité », « Al-Qawiyy, Le Très-Fort, le Très-Puissant, Celui qui possède le Pouvoir complet » ...
Pourtant ce fait donne souvent lieu à l’interprétation polythéiste de la religion tangraïste ce qui contredit à son interprétation classique.

« Le chaman passe solennellement sous le faible roulement des tambours vers l’extrémité est du lieu de fête et s’arrête. Les tambours se taisent. Les Romains remarquent que les chamans et les prêtres des différentes tribus et des détachement militaires allument des feux non loin de leurs drapeaux. Une chamane, qui a été assise au banquet à la place d’honneur de la table voisine, allume, elle aussi, un feu près de la tente royale.
- C’est Udagan, une amie de Kere-ko. explique Sabir.
Le silence. On n’entend que les oiseaux. Toutes les têtes sont tournées vers l’est en attendant le lever du soleil. Les Romains admirent involontairement le panorama de la capitale sur le fond de l’aurore matinale.
Quand le soleil jette ses premiers rayons sur la foule qui l’attend, le chaman lève ses mains vers le ciel, frappe trois fois son tambour et récite une prière d’une voix rapide et solennelle. Sept filles et neuf garçons dans des vêtements blancs s’approchent de lui. Le chaman accomplit avec eux encore quelques beaux rites, verse du koumyz, boisson de lait de jument fermenté, sur la terre. Ensuite, il se dirige vers la tente royale, bénit Kere-ko et ses enfants : le prince Ellak, Uzun-Tour âgé de quatre ans, Denghizik de deux ans et reste à coté de la reine.

« Unzundur » des sources romaines est probablement Uzin-Tour : « soit debout longtemps » = « vis longtemps ». Denghizik rappel « Denghiz » = « océan » (« deniz » en turc occidental moderne) ou même « Gengis ».

« Udagan continue la cérémonie pour Kere-ko selon les rites de sa tribu. Toutes les femmes sakas ont de hauts chapeaux coniques.
- La tribu de Kere-ko est connue depuis l’antiquité sous le nom des «Sakas avec les chapeaux-flêches». raconte Sabir. - Les hommes aussi portaient autrefois des chapeaux semblables. Leurs rois portaient des armures en or. Ils vivaient non loin du grand lac Issyk-koul. »

Les peuples connus des Grecs sous le nom de Scythes sont les mêmes que les Perses et les Indiens connaissaient sous le nom de Saka. Un chef saka en superbe armure d’or a été trouvé en 1969 par l’expédition de K.A.Akichev. On a trouvé avec lui un texte de 26 lettres runiques, écrit il y a environ 2500 ans.
Le peuple turco-mogol Sakha (Yakoute) revendique l’héritage culturel des Huns mais aussi des Sakas.
Le professeur A.D.Grigoriev a comparé des cheveux de Huns asiatiques avec les cheveux des peuples contemporains. Il trouve que c’est la composition des cheveux des Sakhas qui est la plus proche de celle des Huns (N.K. Antonov, Lekstii po turcologii (Cours de la turcologie), Yakoutsk, 1976, p. 26).
Dans les cheveux des Sakhas a été trouvé dans 60% des cas le pigment de phéomélanine, caractéristique des cheveux des femmes européennes. V.V. Fefelova a découvert (1987) dans le sang des Sakhas dans 29,1% des cas, c’est-à-dire, deux fois plus souvent que chez les européens, l’antigène HL A-AI, qui est absent dans les populations asiatiques. Il est souvent combiné chez les Sakhas avec l’antigène HLA-B17 et cette combinaison n’existe que chez Sakhas et les Hindous (A.I.Gogolev, Yakouty (Sakhas), Yakoutsk, 1993, p. 28, 123).

« Vient l’évêque chrétien de la Hunnie, il bénit les Romains et récite une prière. Il se dirige ensuite vers le groupe des secrétaires latins et grecs d’Attila. Quand l’évêque est passé vers l’autre groupe de chrétiens, Onégèse se détache du groupe des secrétaires et rejoint les Romains :
- Regardez notre capitale. s’écrie-t-il. La Ville du Soleil!
Effectivement sous les rayons du soleil levant, le panorama de la capitale des Huns est splendide.
- Les neuf enceintes concentriques symbolisent les neufs couches du ciel. explique Onégèse.
Les toits pointus des tours rondes ressemblent aux casques des guerriers huns. Peints en couleurs bleues et jaune d’or, vernis, ils brillent sous les rayons du soleil. Les huit larges rues partent comme des rayons de la citadelle qui entourent le quartier royal. La ville est construite avec envergure. Les maisons ne se touchent pas, ont de grandes cours, fermées d’un côté par un tronçon d’une des neuf enceintes.
Oreste pense : «L’incendie n’est pas un danger pour cette ville». Il a déjà remarqué que les palais sont bâtis sur des fondations en pierre, leurs différentes parties sont séparées par des couloirs, également en pierre : «Comment tout est bien réfléchi !»
Onégèse explique :
- A l’est de la Hunnie se trouve une deuxième capitale.
- Je l’ai visitée, explique Sabir. - C’est une ville plus grande mais moins splendide que cette ville.
- Cette capitale est une «fenêtre sur le monde romain et germanique». dit Onégèse. - Attila veut impressionner les peuples d’Europe.
- Mais alors pourquoi ne construit-il pas en pierre ? s’étonne Oreste.
Onégèse explique :
- Attila pense qu’il est impossible de dépasser les Romains et les Grecs dans ce domaine. Il ne veut pas avoir comme capitale une pâle copie des villes romaines. N’oubliez pas que les Huns et leurs vassaux possèdent plusieurs anciennes villes romaines et grecques en Dacie, sur le bord de la mer Noire et dans leur partie de la Pannonie. Beaucoup de ces villes sont reconstruites par les habitants ou sont en cours de reconstruction. Attila pouvait facilement convaincre Oros de transférer la capitale ou une résidence royale dans une de ces villes.
Fier, il regarde le panorama de la capitale :
- La ville n’avait que deux enceintes, a été agrandie et reconstruite selon les idées d’Attila dans les traditions hunes. Les Germains appellent notre ville Attilaburg ou Etzelburg.
- Oui, il a créé une ville extraordinaire ! confirme Oreste.
- Nous avons construit beaucoup cette dernière année grâce à l’argent romain. dit Onégèse.
- A l’argent romain ? s’exclament simultanément Oreste et Salvien qui, stupéfiés, se regardent.
- Selon les conditions du traité avec Aetius pour la mobilisation de l’armée de secours, nous avons reçu une contribution à notre trésor. Chaque soldat a payé ensuite des impôts sur son salaire de mercenaire romain. On peut ainsi dire que le nouveau palais de Kere-ko est construit avec l’argent de Galla Placidia.
- Nous avons donné au trésor un dixième de notre solde, confirme Sabir. »

La description de la capitale hune est basée sur les reconstitutions faites par Edward Gibbon ; Maurice Bouvier-Ajam et Michel Loi.



« Udagan et l’évêque, avec des airs importants, discutent amicalement.
Les Romains et Onégèse font la révérence à Kere-ko et aux dames. Puis, ils s’approchent de l’évêque. Il est étonnant de voir sur sa poitrine une croix à quatre branches égales et de remarquer chez Udagan une croix avec des branches égales et ancrées, gravée à l’intérieur d’un grand disque en argent.
L’évêque comprend vite la raison de l’intérêt des Romains et leur explique :
- Vous êtes habitués aux croix en «tau» qui reproduit la forme de l’instrument de supplice du Christ. Mais nous portons ici des croix à branches égales, familières aux Huns. D’ailleurs, on commence à porter des croix similaires dans l’Empire romain d’Orient et il est amusant de constater que les Romains d’Occident les appellent les «croix grecques».
Oreste compare encore une fois les deux croix similaires sur les poitrines de l’évêque et de la chamane blanche et demande :
- Mais que signifie la croix pour les Huns ? Nous voyons ces croix sur les drapeaux, les vêtements, les boucliers et les carquois.
L’évêque regarde d’abord Udagan et ensuite commence à expliquer :
- La croix tangraïste est un symbole très ancien. Chaque peuple l’interprète de façon différente ...
La chamane lui dit quelques mots en hun. L’évêque traduit :
- Par exemple, les Sakas considèrent la croix comme une image stylisée de l’aigle sacré bicéphale. Les Huns croient que les oiseaux extraordinaires ainsi que les biches avec des cornes dorées sont des messagers de Dieu. Après leur apparition, il se produit toujours un évènement important dans la vie du peuple. »

Gavril Ksenofontov, un des premiers scientifiques sakhas, pensait que la croix tire son origine de la représentation ornementale de la lumière du soleil ainsi que de Sakh, le Dieu du soleil des anciens Sakas.

« Oreste pose à l’évêque une question qui l’intéresse profondément :
- Pensez-vous que les Huns et les chrétiens croient au même Dieu ?
L’évêque répond avec conviction :
- Sans aucun doute. Je traduis actuellement la Bible et l’Evangile en hun et dans ma traduction j’identifie Tangra avec le Dieu chrétien. J’ai beaucoup discuté de cette question. »

En effet, l’Eglise orthodoxe a décidé, dans la traduction de la littérature chrétienne en sakha, d’identifier Tangra (Les Sakhas prononcent souvent « Tangara ») avec Dieu.

« - Mais nous savons qu’il existe aussi Odoun khan, dieu de la destinée. N’est-ce pas un signe de polythéisme ?
- Modoun khan, qui était le premier empereur hun, est canonisé dans la mémoire populaire. Je le compare avec les saints de l’église catholique. On croit que ses lois, justes et strictes, ont été inspirées par Tangra lui-même et sont toujours respectées par toutes les tribus hunes. Tangra est Dieu unique et tout puissant entouré par les autres divinités, à la fois distinctes de lui et en faisant partie.
Salvien se souvient des raisonnements des philosophes, assez obscurs pour lui, et des disputes sur la Trinité, cette union de trois personnes distinctes ne formant q’un seul Dieu : le Père, le Fils et le Saint-Esprit, mais aussi sur les anges et les archanges, créatures purement spirituelles.
L’évêque répète une formule que les Romains connaissent déjà :
- Comme Dieu unique et tout puissant a donné à la main plusieurs doigts, de même il a donné aux hommes plusieurs voies vers lui. »

D’après Jean-Paul Roux Tangra est la « plus haute expression du divin … et qu’entoure un grand nombre de divinité, à la fois distinctes de lui et en faisant partie » (Historia spécial, n° 57, p. 62).
Gengis Khan est considéré par les Sakhas avec Odoun Khan comme deux divinités du destin humain. On dit : « Par le décret d’Odoun Khan, par le loi de Gengis Khan » (« Odoun Khan ouragynan, Tchingys Khan yïaagynan »). Le mot « yïag » ou « yïakh » ressemble au mot « yassak » ou « yassa ». On peut dire que les héros des épopées sakhas respectaient le Yassa de Gengis Khan !
Le code des lois gengiskhanides, le yassak, parfois transcrit yassa, promulgué en 1219, codifie «des traditions, des lois et des interdits, souvent millénaires, des peuples de la steppe »  (Jean-Paul Roux, Histoire de l’Empire mongol, Fayard, 1993, p.144). Les Mongols considéraient « que les ordres du khan étaient ceux de Dieu même, et ils ne manquaient pas en effet de dire parfois : « Le commandement de Tengri l’Eternel a été donné à Gengis Khan »(Roux, Histoire de l’Empire mongol, p. 143). Le Yassa de Gengis Khan était considéré par les peuples turco-mongols « à l’égal d’un livre saint et avait pour eux une valeur religieuse » (Roux, Histoire de l’Empire mongol, p. 144). On continuait de le respecter longtemps après la mort de Gengis Khan comme les commandements divins. Ainsi les Sakhas continuent aujourd’hui de vénérer l’eau et le feu comme l’exige le Yassa et on ne peut pas s’étonner que Gengis Khan a été divinisé dans leur religion.
Mais qu’a été Odoun Khan, un autre saint de la religion tangraïste ? Je crois que c’est Modoun Khan, premier empereur hun et premier codificateur des traditions et des lois des peuples des steppes.

« Les Romains se promènent et regardent la lutte et les autres compétitons sportives. La fête continue sur tout l’espace du rassemblement. Ils trouvent Sabir parmi les gens de sa tribu. Comme les Sibériens ne sont pas nombreux, ils sont contents de la visite des Romains. Le vieux chaman verse sur le feu une cuiller de beurre fondu et récite une prière tangraïste. Salvien entend à plusieurs reprise «Allah ot» dans le courant des mots pour lui inconnus et s’intéresse, il ne sait même pas pourquoi et demande à Sabir :
- Que signifie ce mot «allah» ?
- «Allah» ou «al» signifie dans notre dialecte «sacré» ou «saint», par exemple, «allah ot» signifie «le feu divin», «al mas» signifie «l’arbre sacré». »

L’Arbre sacré mythique s’appelle en sakha « Al Louk Mas » ou « Ar Loup Mas », le verbe sakha « alla » ou « alga » signifie « bénir ». Notons aussi que l’esprit de la guerre s’appelle Ilbis.

« Quand, dans l’après-midi, les jeux guerriers commencent, les Romains retournent à leur place afin de mieux les voir. Les compétitions des différents jeux d’adresse, de la voltige, du lancement du javelot et des autres armes, des arts martiaux et du tir à l’arc se déroulent simultanément. Onégèse les rejoint de nouveau :
- Regardez, il n’y a aucune compétition qui mette en danger la vie d’un adversaire. Ces peuples sont si guerriers qu’on ne peut pas leur donner de raison ou de prétexte pour l’hostilité, la vengeance ou la rancune. Selon une des lois de Modoun khan, on ne peut sortir les armes blanches de leurs fourreaux sans l’ordre des chefs, les coupables de non respect de cette loi sont passibles de la peine de mort. »

Cette étonnante loi a suscité l’admiration de Lev Goumilev, éminent spécialiste russe de l’histoire turco-mongol.

« L’attention de Salvien est attirée par les compétitions d’archers car il sait bien que l’arc est l’arme favorite des guerriers huns. Les Huns n’aimant pas le choc frontal, ils n’établissent le contact direct que lorsque l’adversaire est déjà déséquilibré afin de lui porter le coup de grâce. Leur mobilité, leur capacité de concentration, leur technique de harcèlement avec des tirs à l’arc et des feintes de fuite donnent aux cavaliers huns une efficacité singulière. Les armées des peuples sédentaires ne pouvaient pas écraser ces cavaliers dans les steppes. On pouvait espérer les vaincre seulement dans des situations rares et exceptionnelles, par exemple, en coupant, pendant la marche de leur armée dans une vallée, toutes les sorties possibles.
Les Romains voient que les meilleurs archers tirent sur une distance de plus de cinq cents pas et le champion a tiré sur presque mille pas !
Salvien est admiratif :
- Incroyable ! Le meilleur archer de notre légion, qui est venu des iles de Bretagne, tire avec son arc gaulois sur moins de quatre cents pas.
Onégèse explique avec un plaisir visible :
- L’arc hun est bien plus solide et résistant que l’arc occidental et, surtout, sa corde reste toujours tendue en place à la différence, par exemple, des arcs goths ou gaulois, dont la corde n’est mise en place et tendue qu’avant la bataille, afin que l’arc ne perde pas ses performances. L’arc hun est formé de plusieurs éléments associés avec une âme en bois contrecollée de tendons au dos et de corne sur sa face interne. Sa fabrication peut durer pendant plusieurs années. Une âme en bois est taillée dans un arbre poussé à l’ombre sur la terre humide. Les artisans ne font parfois que deux âmes d’arc avec un grand tronc ! Puis vient l’assemblage corne-âme. La corne utilisée est du buffle d’eau ou d’ibex. Une fois sec, après plusieurs semaines, l’assemblage est presque plat à l’exception des leviers. Le tendon utilisé provient aussi d’ibex et des autres animaux sauvages. Il est coupé, séché et séparé en fines fibres. Celles-ci sont ensuite plongées dans la colle chauffée puis déposées sur le dos de l’arc en couches successives. Vient alors la phase de séchage, de six mois à six ans, pendant laquelle le tendon se rétracte et donne sa forme à double courbure à l’arc.
Salvien s’exclame:
- Je savais que l’arc hun est composé de trois couches mais ne soupçonnais pas que le processus de sa fabrication était aussi complexe ! Nos arcs ne sont pas composites.
Oreste ajoute :
- Je sais que toutes les tentatives des ingénieurs et des artisans romains de reproduire l’arc hun ont échoué. Comme, d’ailleurs, les tentatives de faire couler du fer et de mouler des pièces d’armement et des objets de la vie courante, comme le font les Huns dans leurs ateliers de l’Oural. »

Les tentatives de reproduction des arcs turco-mongols performants n’ont pas encore réussit malgré l’utilisation de la technologie moderne.

  « Onégèse sourit ironiquement, puis il continue ses explications :
- Les Huns construisent des hauts fourneaux à charbon. Les ingénieurs romains dans ce domaine sont moins qualifiés que les artisans du peuple qui est considéré par vos empereurs comme barbare. Mais les ingénieurs romains estiment leurs homologues huns. On a eu des tentatives de corruption de nos meilleurs métallurgistes et armuriers.
Les cavaliers commencent leur compétition de tir à l’arc en mouvement. Ils s’approchent des cibles avec une cadence de tir incroyable et, après les avoir dépassées, continuent de tirer avec une grande précision par-dessus leur épaules.
Oreste remarque :
- Des étriers et une selle confortable donnent plus de stabilité aux cavaliers.
Salvien le soutient :
- C’est très important dans la bataille, et les guerriers se fatiguent moins pendant leurs mouvements. Je ne crois pas que les Huns pourraient dormir en selle, tout en continuant leur chevauchée, s’ils n’avaient pas d’étriers et de bonnes selles. Nos officiers aussi commencent à adopter les étriers et certaines formes d’armements huns.
Onégèse dit avec ironie :
- Mais on change difficilement ses habitudes. Les Romains ne réalisent même pas à quel pont leurs attelages, qui étranglent les pauvres chevaux, sont primitifs. L’introduction du collier de cheval fera la révolution dans le transport et l’agriculture. Regardez attentivement les chariots et les fourgons huns.
Les archers commencent à tirer avec des flèches qui percent les armures. Salvien fronce le sourcil quand on installe, en guise de cible, le mannequin d’un officier romain avec une ancienne cuirasse lourde :
- Maintenant nos légionnaires préfèrent porter des cuirasses en lamelles de cuir.
Onégèse rit :
- Et depuis l’empereur Gratien, beaucoup de légionnaires ne portent plus de casques. Tandis que la cavalerie lourde hune est cuirassée des pieds à la tête. Même leurs chevaux sont protégés.
Salvien voit avec inquiétude que les Huns ont des flèches qui percent l’armure à une distance de deux cents pas. Il se souvient d’Aetius et pense involontairement: «C’est bien d’avoir des amis si redoutables!». Il entend ensuite de nouveau la voix de Galla Placidia : «Je prie Dieu pour que le ciel au dessus de notre Empire soit moins nuageux!»
Le Romain regarde le ciel. Le soleil brille et il n’y a aucune nuage au dessus de la capitale des Huns. »

Nous ne discuterons pas la légitimité de l’utilisation du terme « empire » par rapport aux états des Huns. A l’époque de Modoun et d’Attila personne ne le contestait ce qui est témoigné par les traités avec les grands empires sédentaires et d’autres documents.

  « Salvien fronce le sourcil et l’interrompt :
- Quelle est la cérémonie de départ de l’armée chez les Huns ?
- Le chaman blanc récite la prière à Tangra pour le succès de la campagne, lui explique Sabir. Ensuite, les généraux prêtent, au nom de Dieu, serments solennels de fidélité aux khans. Les chamans blancs et les autres prêtres avec les commandants des détachements font la cérémonie de purification des armes des guerriers.
- Aetius a donc prêté serment solennel de fidélité aux khans ! s’exclame Salvien.
- Bien sûr ! confirme Sabir. Sinon, il n’aurait pas pu avoir une armée de soixante mille cavaliers.

***

Quelques jours plus tard, le messager d’Aetius arrive et s’arrête dans une maison voisine. Le premier soir, Oreste l’invite à dîner. Ce messager s’appelle Marc, c’est un officier d’Aetius et un affranchi de sa mère. Il était avec le jeune Aetius pendant son séjour chez les Huns. Il a maintenant une cinquantaine d’années.
Au début du dîner, Oreste donne de la nourriture à l’esprit du feu et remarque ensuite :
- C’est intéressant que les Huns, qui habitaient avant si loin de nous, nourrissent l’esprit du feu !
- J’ai appris qu’ils ont le même rite de purification des armes que nos ancêtres, ajoute Salvien.
- Et ils ont des croix à quatre branches égales sur leurs drapeaux ! s’exclame Oreste. »

Il est amusant d’admettre qu’une coutume des Sakhas, qui continuent toujours de nourrir l’esprit du feu, ait été emprunté par leurs ancêtres chez les Romains. Mais c’est improbable.

« Enfin, Attila arrive avec sa belle escorte de cavaliers de fière allure aux armures brillantes et ses fougueux coursiers. Les Romains, dans la foule des habitants de la ville, observent avec intérêt son entrée dans la capitale. Les jeunes filles, vêtues de robes blanches et fines, portent un dais sous lequel les autres jeunes filles, par groupes de sept, avancent en chantant. Elles saluent Attila et reviennent en le précédant. Les habitants de la capitale saluent la procession avec des cris de joie. »

Cette rencontre, qui rappelle les coutumes similaires des Sakha, est décrite par Priscos, diplomate grec.

  « Le premier jour, Attila réunit Marc, Onégèse, Oreste, Salvien et Edecon, un officier hun parlant bien latin. Le jeune khan tient un bref discours :

- Pendant mon voyage, en Oural, j’ai rencontré un ambassadeur des Turcs bleus, peuple hunnique de l’Altaï. J’ai beaucoup discuté avec lui. Les Turcs sont des métallurgistes remarquables et plusieurs de leurs artisans travaillent dans nos ateliers militaires. C’est pourquoi, ils étaient au courant de ma visite des ateliers de l’Oural. Les Turcs, qui se trouvent à la même distance de chez nous et de la Chine, sont bien informés de ce qui se passe dans le monde. La situation a changé ces dernières années. L’Empire chinois est gouverné par les Tabgatchs, les Joujans ont créé leur grand état plus au nord. Les Tabgatchs et les Joujans sont descendants des Huns orientaux.
« Nous le savons maintenant» pense Oreste. – « Kere-ko, Sabir, Ellak et Onégèse nous ont dejà expliqué. »
La voix d’Attila monte :
- C’est pourquoi, hormis les peuples hunniques: les Huns occidentaux, les Joujans et les Tabgatchs, il n’existe aujourd’hui dans le monde que deux forces sérieuses. Ce sont la Perse et les deux empires romains qui se considèrent toujours comme les centres de l’Univers. Les peuples hunniques ont surmonté toutes les difficultés survenues après la dislocation de l’empire fondé par la volonté de Tangra et l’énergie de Modoun le Grand. Ce n’était pas facile. Le khan Oros et moi-même, avons fait de grands efforts afin de consolider les peuples hunniques et les autres tribus du Danube à l’Oural et la mer Aral.
Cette analyse de la situation internationale bouleverse Oreste qui réalise brusquement quelle force se cache derrière ce jeune homme sans aucun signe de vanité.
Attila dit en articulant chaque mot :
- Les Huns croient que comme il n’y a qu’un seul Dieu sur le Ciel, il ne sera un jour qu’un seul souverain sur la Terre. Alors les guerres cesseront.
Alarmés, les Romains, tout à coup, se sentent mal à l’aise et se regardent. »

Jean-Paul Roux écrit : « « C’était l’idée forte des Turcs et des Mongols, celle qui sera répétée pendant quelque deux mille ans des Hiong-nou aux Ottomans. Avec quelques variantes dans la forme, dix fois, cent fois on relira cette phrase : « Comme il n’y a qu’un seul Dieu dans le ciel, il ne doit y avoir qu’un seul souverain sur la terre » … Cela coûterait cher. Une génération serait sacrifiée. Mais le résultat en vaudrait la peine s’ils n’y avait plus de guerres » (Roux, Histoire de l’Empire mongol, p. 242).

« Puis, Attila continue tranquillement :
- Les peuples des deux Empires romains se souviennent aujourd’hui avec nostalgie de la «pax romana», les siècles de paix romaine. Mais Dieu n’est plus favorable aux Romains qui ont érigé un culte de la jouissance et commis trop de pêchés et dont les souverains ont montré un orgueil incommensurable, puis sont tombés dans les délits de corruption. Par contre, Dieu est de nouveau favorable aux Huns, qui sont capables de maintenir la «pax hunna» du Danube à la Chine. Si nous concluions aujourd’hui une alliance avec les Tabgatchs, alors les peuples hunniques conquérraient rapidement le monde. Mais l’histoire nous a appris à être très prudent avec la Chine et leurs empereurs. C’est pourquoi, nous tenons à consolider et renforcer notre état. Les Joujans nous séparent de la Chine et nous préférons avoir avec eux des relations pacifiques, même si les Turcs bleus d’Altaï nous demandent parfois de calmer les intentions expansionnistes des Joujans. Je suis réaliste et pense que la progression vers la paix universelle sera longue et très difficile. Nos actions montrent bien que nous n’avons pas d’intentions agressives envers les Romains.
Etonné de ces propos pacifiques, Oreste tend l’oreille afin de bien suivre l’argumentation du jeune khan car un doute reste au fond du charme qui s’opère peu à peu sur lui :
- Nos guerriers, qui étaient mercenaires dans les armées romaines, sont contents. Leur service donne à notre état des revenus confortables. Nous sommes satisfaits des dimensions de notre état car nous avons maintenant les meilleurs pâturages au monde pour nos chevaux et notre bétail, la richesse principale de tous les peuples hunniques. Votre historien Tite-Live pensait aussi que Rome doit dominer le monde grâce au courage de ses citoyens et à la bienveillance des dieux. Maintenant vous n’avez ni l’un ni l’autre. Nous étudions l’expérience des Tabgatchs qui gouvernent la Chine et ont fondé leur dynastie impériale. Là-bas, les Tabgatchs et les autres peuples hunniques forment la cavalerie impériale, les fantassins sont chinois, l’administration chinoise reste intacte. Maintenant la Chine sort de la crise. Cette expérience est très intéressante pour nous et pour les Romains. Vous pourriez aussi sortir de la crise, si nous réussissions une alliance similaire ici, en Occident. Je ne vois pas d’autre solution pour vous. En effet, l’Empire romain d’Occident ne tient que grâce aux mercenaires huns. Je suis partisan de l’approfondissement progressif de nos relations afin d’essayer de réaliser un jour la «pax hunna-romana», de l’Espagne à l’Oural. Peut-être, négocierons-nous alors avec les Tabgatchs et Dieu nous aidera à réaliser la paix universelle.
A cet instant Oreste pense à Julia, sourit tendrement et remercie Dieu qu’Attila ne pense pas à des incursions et à des tributs, mais réfléchisse sur les opportunités de la paix :
- Je n’oublie pas les autres peuples. Rome confrontait toujours l’anarchie et le désordre dans le monde barbare. Maintenant les chose changent. Il y a plus d’anarchie et de désordre dans le monde romain. Vos armées ne sont plus assez fortes. Ainsi les Wizigoths, qui nous ont fui sans bataille, ont vaincu ensuite les armées romaines et, il y a seize ans, ont pris Rome. Les peuples germaniques sont maintenant mieux organisés qu’autrefois. J’ai voyagé beaucoup en Germanie. Les Gépides et les Ostrogoths sont nos sujets les plus fidèles, plus fidèles que certains princes huns. Leurs rois, Ardaric et Valamir, comprennent et soutiennent mes idées. Les Huns, à la différence des Romains, gardent toujours les chefs traditionnels des peuples vaincus. Nous sommes aussi arbitres dans les conflits entre plusieurs rois germaniques indépendants, mais aussi entre les Ougres, les Slaves et certains peuples du Caucase et de la Sibérie. Nous protégeons les comptoirs sogdiens de la mer Noire à la frontière joujane. Les Sogdiens, peuple ingénieux, laissent aux Huns et aux Joujans le soin de la guerre et s’adonnent au commerce et à l’artisanat.
Attila finit son intervention et s’assoit sur son divan. Sans aucun doute, discutait-il beaucoup de ses idées avec différents interlocuteurs. On voit qu’il sait bien utiliser cet instrument de la puissance qui est l’éloquence, aussi efficace que l’or et une arme pour le chef qui la maîtrise. Onégèse et Edecon regardent les Romains avec intérêt en attendant leur réaction.
Oreste se lève pour répondre :
- Je suis bouleversé par votre analyse. Nous, les Romains, ne savons presque rien de ce qui se passe dans l’Empire chinois et pensons que ça ne nous concerne pas. Mais ça nous concerne bien car les Huns sont venus sur les rives du Danube après la dislocation de l’empire de leurs ancêtres au nord de la Grande muraille de Chine. Maintenant la Grande steppe est dominée par les peuples parents, qui croient au même Dieu et respectent les lois de Modoun khan. Je suis content que vous ne pensiez pas à des incursions et des tributs, mais réfléchissiez sur les opportunités de la création d’une Grande union des peuples du monde. Je vous connais depuis mon enfance et crois à la sincérité de vos aspirations.
Attila sourit :
- Je me souviens de vous et de votre famille. Je ne veux pas la disparition de la grande civilisation romaine. Il faut seulement changer vos relations avec les autres peuples et les esclaves. Je pense bien comprendre les Romains et je crois à la possibilité de la création avec eux de la «pax hunna-romana» de l’Espagne jusqu’à la Sibérie. Je suis prêt à consacrer ma vie à cette tâche difficile. Je ne proposerai pas, dans notre réponse à Galla Placidia, de conclure maintenant une alliance. Aujourd’hui, les Romains ne sont pas encore prêts.
Onégèse ajoute en s’adressant aux Romains :
- Depuis longtemps vos empereurs se considèrent comme des dieux, portent des diadèmes et demandent que les gens se prosternent devant eux. Se prosterner, cela veut dire se mettre à plat ventre. A Constantinople, on doit s’avancer à plat ventre toujours, de la porte jusqu’au trône. Il faut ramper, en s’aidant des mains et des genoux, et ne pas lever les yeux avant d’avoir entendu la voix de l’empereur. A ce moment, d’après la coutume, il faut avec grande joie baiser la botte de pourpre qu’on lui tend, puis se tenir debout, si l’empereur en donne la permission. Après cela, on se jette de nouveau à plat ventre et regagne la porte en rampant. C’est sûr, il est impossible de négocier avec des souverains pareils. »

On peut dire qu’Attila était un vrai démocrate par rapport aux empereurs romains.

 « Choqué, Edecon dit :

- Peut-être, faudra-t-il d’abord diminuer leur orgueil. Les Huns de ma tribu et les Skires, peuple de ma noble femme germanique, sont prêts à participer aux marches vers Rome et Constantinople. Nous commençons à étudier l’art des sièges, les catapultes et les autres machines romaines.
Attila continue sans réagir à ces déclarations :
- Aetius m’informe que les Francs, les Burgondes et les Wisigoths s’activent en Gaule. Il nous demande de l’aider. Nous allons lui envoyer quelques détachements de notre cavalerie et des volontaires. Que les Romains voient plus souvent les cavaliers huns dans leur rôle de défenseurs et ainsi nos jeunes guerriers s’adapteront au milieu romain et s’habitueront à une solde régulière. C’est bien aussi pour notre trésor. Nous demandons seulement de mettre fin à cette pratique de négociations directes avec les princes sans passer par notre gouvernement central. Kourdak, le prince principal du peuple «Ak-at-seri», ce qu’on peut traduire comme une «armée sur des chevaux blancs», des rives de la mer Caspienne, nous informe de nouvelles tentatives de corruption des princes par des émissaires de Constantinople afin de les susciter à l’insurrection. Nous sommes profondément indignés et ne laisserons pas impunies ces actions hostiles. Je vais écrire à Galla Placidia mes propositions à ce sujet. »

« Kourdak » (« Kouridakh – roi des Akatzirs » dans les sources romaines) est encore un nom sakha et signifie « Celui qui porte une ceinture ». Une belle et riche ceinture chez les peuples turco-mongols était un signe du pouvoir. Un oncle d’Attila porte aussi un nom sakha : Oïor-Bars (« Oebars » dans les même sources) ce qui signifie « Léopard qui saute ».
Notons que les grands espaces n’étaient jamais un obstacle pour les Turco-Mongols. Ils pouvaient venir en deux mois de la Mongolie au bord de la Volga. Notons la rapidité des déplacements urgents dans Empire russe du XIX siècle, ainsi les rebelles « décembristes » déportés « partis de Saint-Pétersbourg le 10 décembre 1826, sont à Irkoutsk dès le début de janvier », les autres parcourent « six mille huit cents verstes entre Pétersbourg et Tchita » en quarante jours (Yves Gautier et Antoine Garcia, L’exploration de la Sibérie, Arles, Actes Sud, 1996, p. 300)
« Salvien n’attend pas longtemps après son retour de la Hunnie à Ravenne. Il ne se passe pas même une semaine que Galla Placidia ne le convoque au palais impérial :
- La lettre d’Oros (la régente prononce «Roas») et d’Attila permet d’espérer que les Huns, au moins pendant les quelques années à venir, envisagent de garder avec nous de bonnes relations. Qu'en pensez vous ? »

Il me semble que « Roas » (transcription greco-romain) = « Oros » (version sakha d’un nom certainement ancien car il n’a pas une signification dans la langue courante). D’ailleurs mon livre « Les amis d’Attila » est un roman et ne prétend pas au statut d’une publication scientifique. Pourtant je crois sincèrement à la véracité de ma reconstitution romancée de l’époque d’Attila.

« - Attila, qui est chargé des relations des Huns avec le monde romain et germanique, pense que les Romains ont eu raison de suivre le testament d’Auguste qui leur a recommandé de s’arrêter sur le Rhin et le Danube. Le roi Oros et lui-même sont principalement préoccupés par la consolidation des Huns et des autres peuples barbares du Danube à l’Oural, par la création de la «pax hunna» sur ces immenses espaces.
La régente le regarde attentivement :
- Oreste dit qu’Attila rêve de la création de la «pax hunna-romana» et considère que c’est la seule possibilité d’avoir une paix stable de l’Espagne à l’Oural. Il est passionné par cette idée et me demande l’autorisation de partir pour la Hunnie avec sa famille. Cet Attila est très intelligent et charismatique.
Salvien ne s’étonne pas :
- Il m’a dit aussi qu’Attila l’invite à devenir son conseiller. Il me semble qu’Oreste est sincère dans son désir d’aider Attila à bâtir une «pax hunna-romana» et sauver de cette manière la civilisation romaine. 
Placidia réfléchit un peu et dit :
- Ces idées d’Attila ne m’étonnent pas. Le roi goths Ataulphe ...
Salvien tend l’oreille car la régente parle de son premier mari qu’elle a épousé après avoir été capturée par les Goths afin de sauver l’empire ! »


La destinée d’Oreste et sa carrière dans le gouvernement d’Attila et, après sa mort, dans l’Empire roman d’Occident qu’il a gouverné à la fin de sa vie au nom de Romulus Augustule, son fils, donne beaucoup de thèmes pour les réflexions.

  « La régente continue après une pause :
- Ataulphe, après les victoires en Italie, avait le vertige de ses succès. Il a commencé à rêver de remplacer les Romains par les Wisigoths comme une nation dominante dans notre empire, c’est-à-dire, il pensait à la «pax gothica» sur le territoire de l’Empire romain d’Occident. Mais après nos discussions, il a compris que les Goths n’étaient pas habitués à respecter les lois et n’étaient pas assez nombreux. C’est pourquoi, il a commencé à penser de la «pax gothico-romana» et décidé de quitter l’Italie avec ses Wisigoths.
Salvien remarque :
- Les Huns sont les héritiers d’une ancienne tradition impériale. Ils sont assez nombreux et occupent des territoires immenses. Autrefois, les Huns pouvaient mobiliser contre la Chine une armée de 400 000 cavaliers. Il n’est pas exclu qu’ils puissent le refaire aujourd’hui si leur appel est entendu assez loin, jusqu’à l’Asie profonde. Ils ont aussi parmi leurs vassaux les Germaniques et plusieurs autres tribus.
Placidia l’interrompt brusquement :
- Vous ne pensez pas que cette idée de la «pax hunna-romana» peut en réalité dissimuler l’intention d’Attila de créer avec son ami Aetius un nouvel Empire romano-hunnique ? Qu’avez-vous appris sur leurs relations et leurs plans ?
L’officier boit du jus de fruit dans un verre apporté par une jeune esclave :
- Attila admire votre décision de venir en 410 à Rome assiégée afin de soutenir ses défenseurs. Il a exprimé l’espoir que vous élèveriez Valentinien en bon empereur, courageux et droit, digne de son père Constance.
La régente sourit :
- Oreste me l’a dit aussi.
Salvien continue avec conviction :
- Il me semble qu’Attila est un homme religieux, qui croit en un Dieu unique et tout puissant, habitué à se soumettre au Code hun de Modoun khan, connaissant bien les lois et les coutumes romaines. Le roi Oros est un souverain pacifique et honnête, qui a consacré sa vie à la renaissance et à la consolidation de l’unité des Huns occidentaux. Je pense qu’ils ne chercheront une alliance qu’avec des souverains légitimes des Empires romains. Mais évidemment, pour Attila, il serait agréable de voir Aetius commandant en chef des armées romaines.
De nouveau, Placidia l’interrompt brusquement :
- Par contre, ce serait désagréable pour moi car alors nous serions les marionnettes des Huns. Oreste dit qu’Aetius a prêté serment solennel de fidélité aux Huns.
Salvien raconte ce qu’il a appris de plus intéressant sur les relations d’Attila et d’Aetius. Les sourcils froncés, la régente écoute sans l’interrompre. »

Même Ataulphe, petit roi, avait des grands projets. C’est pourquoi, je suis sûr de la capacité d’Attila de concevoir de très grands projets.

« Oreste se réveille et respire l’air léger du matin avec la merveilleuse saveur du printemps. Depuis longtemps déjà, il a appris à dormir sur sa selle comme les Huns. Combien d’événements et d’impressions ! Ils avancent pendant plusieurs semaines vers l’est à la rencontre du soleil. Avant ils ont passé un mois au Caucase. Sur l’ordre d’Oros khan, les princes et les chefs qui étaient les vassaux du khan Oer-Barse, mort récemment, ont prêté serment de fidélité à Attila. Le serment donné au nom de Tangra, les lois de Modoun khan et l’autorité d’Attila assuraient la soumission de ces sujets.
Le soleil vient de se lever. Sur l’horizon on voit les montagnes bleues.
Attila s’écrie :
- Altaï! Le pays de nos ancêtres !
Le prince Ellac et les cavaliers de l’escorte poussent des cris de joie :
- Hourrah ! Orouï ! Aïkhal !
Après quelques heures de course folle, ils s’arrêtent au bord de la rivière, chez le prince des Turcs, flatté par la visite de tels hôtes de marque. La tribu locale ne fait pas partie de l’état d’Oros et Attila, mais garde toujours sa neutralité car elle éprouvait du sud la pression des Joujans. Le dialecte turc se distinguait de celui de la plupart des Huns rencontrés par Oreste, mais était tout à fait compréhensible.
Le prince turc dit :
- Nous vivons aussi selon les lois de Modoun khan et nous supplions Tangra du rétablissement de l’unité de toutes les tribus solaires hunes avec les brides sur le dos. Puisqu’au ciel il n’y a qu’un seul Dieu, sur la terre il ne doit être qu’un seul souverain, qui garantira la paix entre tous les pays. Les Joujans possèdent les terres principales des anciens Huns et pensent que ce sont eux qui doivent rétablir l’empire hun, mais ils ne suivent pas toujours les lois de Modoun khan. Ils disent, que les Tabgacths servent avec trop de zèle les intérêts de leurs sujets chinois.
On commence à parler ensuite de l’itinéraire ultérieur d’Attila qui veut parvenir cette fois jusqu’au centre du premier empire hun. Le prince dit :
- Personne, sauf le khan des Joujans, ne peut vous empêcher de visiter les tombes de vos ancêtres. Je pense, que lui aussi n’osera pas vous empêcher et, peut être, sera-t-il même très content de vous rencontrer. Je peux aller le voir avec un de vos officiers afin de lui expliquer vos intentions. Vous pouvez aller tranquillement vers Baïkal, là-bas je vous retrouverai. Nos voyages doivent normalement avoir la même durée. Ensuite je voudrais aller avec vous vers la rivière Orkhon. C’est aussi intéressant pour moi de visiter ces endroits. »

Les Turc d’Altaï moins d’un siècle après Attila on fondé un grand empire. Leur ancêtres étaient dans le premier empire hun, fondé par Modoun. Les souverains turcs ont attestés sur leurs inscriptions qu’ils étaient tangraïste, que leur pouvoir vient de Tangra (« uze kek Тengri »). Cette utilisation du nom de Tangra pour la légitimation du pouvoir suprême montre que la foi tangraïste étaient depuis déjà longtemps une religion traditionnelle et reconnue des peuples et des tribus de cet immense empire.

  « Puis il commence à parler de la religion :
- En route vous passerez par les terres des tribus hunes : Sakha, Ouïgour, Ourankhaï, Kanglas, Kyrgys, Touva, Khoro, Toumat et les autres. Certaines d’entre elles, sous l’influence de leurs voisins païens, pensent qu’Aïy Tangra, Ar Tangra et Urun Tangra sont des dieux divers, et non les noms différents du Dieu unique et tout puissant.
Le chaman blanc de la suite d’Attila avec un aigle bicéphale en or sur le front de son chapeau explique patiemment :
- Chez les Sakas et Alains le mot «ar» signifie «dieu», c’est pourquoi l’expression Ar Tangra, que nous utilisons souvent dans nos prières, signifie «Dieu Tangra». L’expression solennelle «Aïy Tangra» est interprétée comme «le Créateur Tangra», car le mot «aïy» signifie «créateur». Tangra est le Dieu créateur, unique et tout puissant, les autres divinités sont ses créatures par qui il exprime son pouvoir.
Le prince remarque :
- Au nord, les gens ont presque oublié, qu’il existait réellement sur terre un souverain Modoun khan. Ils perçoivent Modoun khan ou Odoun khan comme le dieu du destin qui se trouve au huitième ciel.
Le chaman explique :
- Odoun khan était élu par Dieu lui même, sinon il est impossible d’expliquer ses grandes victoires et le succès de toutes ses actions. Nous interprétons les lois, formulées par lui, comme des commandement divins. Ces commandements sont rigoureusement respectés jusqu’à présent par tous ceux qui croient sincèrement à Tangra. L’âme de Modoun khan soutient la liaison permanente avec ses descendants, pour les protéger."

Ainsi j’explique l’interprétation polythéiste de la religion tangraïste, propre à beaucoup de Sakhas, par l’influence des peuples autochtones du Grand Nord. Jean-Paul Roux note : « L’insoumission, les offenses faites au Kaghan (empereur) sont autant d’insoumission, d’offenses à Dieu. La guerre sainte de Tengri et de son Kaghan n’est pas dogmatique. Elle est seulement dirigée contre l’anarchie des steppes, contre les chefferies, contre le totémisme, plus encore contre la multiplicité des pouvoirs qui imposent une vision polythéiste. Elle repond à un profond désir de l’unité, à une volonté de paix universelle. » (Roux, La religion …, p. 113).

  « Rive occidentale du lac Baïkal. Attila et sa suite sont montés au sommet d’une haute montagne, sacrée pour les habitants du pays, pour regarder le soleil levant. Oreste, qui sait que les Huns récitent silencieusement des prières courtes, commence aussi en silence sa prière chrétienne.
Quand le soleil monte, Attila demande à sa suite de le laisser avec Ellak et de redescendre au camp en bas de la montagne. Le père et le fils regardent longtemps le grand lac des ancêtres. Attila a vu les mers Méditerranée, Noire, Caspienne, Aral, Baltique et la mer du Nord, mais n’a jamais éprouvé une telle émotion. Il respire profondément, avec bonheur et délice, à grandes goulées l’air frais ; contemple ces eaux et ces montagnes bleues, pour ne point les oublier ; s’enivre de l’odeur de la taïga et des steppes.
Puis Attila se calme et dit à son fils :
- Nos ancêtres ont été obligés de quitter ces terres. La Chine dressa contre eux les peuples voisins et brouilla les chefs. Beaucoup de générations de nos ancêtres vivaient paisiblement entre l’Oural et la mer d’Aral. Un jour, Tangra leur envoya une biche avec des cornes d’or, qui les guida vers la gloire militaire, leur rappela la grandeur de nos ancêtres. Maintenant nous avons créé notre puissant El. Et ton nom Ellak signifie «Celui qui possède un état» ou «Paisible», car le mot «el» a les deux significations «état» et «paix». Tu sais que les Huns ne peuvent même pas sortir leurs armes de leurs fourreaux sans l’ordre du khan. Nous avons ainsi une responsabilité immense, nous seuls répondons devant Tangra des victimes inévitables des guerres pour l’ordre sur la terre. La vie humaine est courte, je m’occuperai de la paix et de l’ordre à l’Ouest. Tu continueras cela ensuite à l’Est sur la terre de nos ancêtres.
Attila et Ellak détachent leurs ceintures et les mettent à leurs cous. Ils s’assoient ensuite sur le rocher et communiquent longtemps dans leurs esprits avec Tangra. »

Cette scène est inspirée par le comportement des autres souverains tangraïstes. Par exemple, Gengis Khan, en 1219 avant la guerre contre l’Empire du Kharezm, est monté sur une haute montagne et communiqua pendant trois jours dans son esprit avec Tangra. En 1241, le Batu Khan, avant d’engager la bataille décisive contre les Hongrois, Batu, comme le faisait son grand-père, s’était retiré sur une hauteur pendant vingt-quatre heures pour invoquer le Ciel.

« Au camp, ils sont attendus par le prince d’Altaï qui vient d’arriver avec un prince joujan, qui les salue par ces mots :
- Mon père, le ka-khan des Joujans salue le khan Attila et le prince Ellak ! Je vous accompagnerai au bord d’Orkhon, où il vous attend.
Commence ensuite le festin amical avec des flots de koumyz pétillant. Oreste remarque que la langue joujane est déjà plus difficile à comprendre et que les interlocuteurs doivent parfois recourir à l’aide des Turcs. Mais plusieurs joujans parlent bien le dialecte d’Altaï. La possibilité de se comprendre presque sans traduction donne à tout le monde un grand plaisir. Ellak remarque :
- Les commerçants tabgatchs viennent jusqu’à la Volga. Nous comprenons leur langue.
Les Joujans froncent les sourcils :
- Ils perdront bientôt leur énergie hune et se transformeront en Chinois. Plusieurs Tabgatchs vivent dans les villes, les fonctionnaires chinois ont commencé à séparer l’empereur des guerriers. Ils le considèrent déjà comme leur souverain et pas comme le khan des Tabgatchs. Nous avons des relations difficiles.
La conversation touche à la vie locale. Nur-gun, un des guerriers joujans, explique :
- Ici se terminent les steppes. Non loin commence le grand fleuve Léna, sur le bord duquel je suis né. On dit, qu’il se jette dans l’Océan glacial. Là il y a peu d’habitants. Les gens vivent principalement de chasse et de pêche.
Le prince d’Altaï corrige :
- Une partie des Sakas avec de hauts nez et les yeux clairs, vivant avant nous à Altaï, est partie pour ce pays. Certains continuent à vivre jusqu’à maintenant dans nos montagnes. Ils parlent une langue, proche de la nôtre et sont éleveurs de bétail.
Nur-gun confirme cela :
- Mes ancêtres étaient de cette tribu. Afin d’atteindre l’embouchure de ce fleuve il faut rester sur un radeau, porté par le courant, pendant tout l’été. Là-bas, le soleil en été ne se couche pas ...
Oreste ne croit pas à ce récit. »

Il est agréable que les Sakhas perpétuent le nom des Sakas. Visiblement, l'ancienne civilisation saka était si prestigieuse qu’on gardait encore récemment les souvenirs de sa splendeur.

  « Dans les steppes, du lac Baïkal jusqu’à l’Orkhon, les voyageurs remarquent les traces des anciennes villes. Ils voient des hameaux de maisons octogonales en bois. Une partie de la population vit dans des maisons semi-enterrées en brique et en pierre. L’entrée des maisons est toujours à l’est. Le foyer se trouve dans l’angle nord-est. Oreste s’étonne, que le tuyau de cheminée passe sous les lits et les bancs le long des murs afin d’augmenter le rendement du chauffage du foyer.
Oreste se rappelle une couche noire produite par la fumée sur les murs des maisons des Romains simples. Les maisons traditionnelles romaines ne comprenaient qu’une pièce. Elle servait de cuisine, de cantine et de chambre à coucher. Certains pensent, que son nom «atrium» vient du mot «ater» («noir»)car elle n’avait pas de tuyau de cheminée. Pour cela et pour l’éclairage n’existait qu’un trou rectangulaire au centre du toit. La lumière entrait aussi par la porte. Les fenêtres n’existaient pratiquement pas. Certaines maisons possédaient des pièces divisées par des cloisons. On avait d’habitude une remise en planches nommée «tablinium» du mot «tabula» («planche»). Les Romains ont appris à construire de telles maisons des Etrusques. Avant ils n’avaient que des cabanes rectangulaires ou rondes sans fenêtres et même sans trou pour la sortie de la fumée. »

Il ne faut pas oublier que la civilisation romaine était pendant longtemps très rustique.

  « Au bord d’Orkhon ils voient un camp militaire avec une tente royale au milieu. Le ka-khan les rencontre amicalement :

- Je salue le khan et le prince du grand El des Huns de l’Ouest ! Je suis content que vous ayez décidé de visiter la terre et les tombes de vos ancêtres.
Un grand festin commence. En levant une coupe de vin chinois, le ka-khan dit :
- Nous avons ici un scientifique chinois d’origine hune, Bilguen. Il est venu, lui aussi, visiter la terre de ses ancêtres. Son récit sera intéressant pour nous.
Bilguen, après quelques formules de politesse, commence son récit avec plaisir :
- Vous connaissez bien les légendes sur Modoun. J’entendais des récits presque identiques des simples guerriers tabgachts en Chine, des bergers sur les bords d’Orkhon et dans les montagnes d’Otuken. C’est pourquoi, je vous raconterai seulement les détails sur la fondation de l’empire hun communiqués par Syma Ciane. Il y a environ six siècles et demi, Modoun a fait ses premières incursions en Chine, où venait de tomber la dynastie Cine. Le nombre de sa troupe était évalué à 300.000 personnes. L’empereur Gao-Tzou conduisit personnellement les troupes contre Modoun, mais les Huns ont appliqué la tactique ordinaire des cavaliers des steppes. En feignant la fuite, Modoun a attiré les détachements chinois dans un piège et a encerclé l’avant-garde de l’armée chinoise avec l’empereur près du village Baïdyn, non loin de la ville de Pintchen. Modoun avait quatre armées qui se distinguaient par les couleurs des chevaux : blanc, gris, moreau et roux.
Ellak s’exclame :
- D’où vient notre armée sur les chevaux blancs : le peuple Ak-at-seri!
L’animation est générale. Bilguen continue son récit :
- Gao-Tzou était obligé de conclure avec Modoun un accord de paix et de parenté, de lui donner une princesse pour épouse et de s’engager à payer un tribut annuel. Modoun a créé une puissance, tellement forte, que les Chinois la comparaient avec l’Empire du Milieu. Trente ans après un prince hun frontalier attaqua la Chine. L’empereur a mobilisé l’armée, mais les Huns n’ont pas livré bataille. La cour chinoise, en prenant en considération la force des Huns, a restauré avec eux des relations de paix. Selon un nouvel accord, la puissance hune était reconnue égale de l’Empire chinois, et les deux empereurs se nommaient l’un l’autre frères. La même année les Huns avait d’importantes victoires à leur frontière occidentale...

Tout ce que voit et entend Oreste, confirme l’analyse d’Attila de la situation internationale. Attila conclut avec le ka-khan un accord d’amitié qui prévoit le respect de la zone des peuples et tribus neutres. Celles-ci pouvaient accepter une proposition de participation aux incursions à l’est, entreprises par le kha-khan des Joujans ou dans les entreprises à l’ouest, conduites par Attila. »

« Le ka-khan propose aux visiteurs :
- Vous pouvez maintenant aller regarder et visiter la Grande muraille de Chine construite contre nos ancêtres communs. Après votre grand voyage, cela ressemblera à une petite promenade.
Les yeux d’Ellak et d’Oreste s’enflamment. Attila dit :
- Nous devons revenir bientôt sur le Danube. Cette fois notre voyage est trop long. Mais je brûle, moi aussi, du désir de contempler cette Grande muraille qui témoigne si bien de la puissance de nos ancêtres.
Accompagné par Bilguen qui connaît bien le gouverneur tabgatch de la province frontalière, Attila et sa suite font un voyage fascinant à la ville frontalière chinoise, montent sur le mur et admirent les steppes infinies au nord et la province peuplée au sud. Attila décline avec regret une aimable proposition du gouverneur d’aller avec lui rencontrer l’empereur tabgatch de la Chine et confie à Edecon la mission d’aller à la capitale de la Chine accompagné par Bilguen. On organise un banquet final dans une tour de la Grande muraille, sur le toit de laquelle sont hissés à cette occasion les étendards tabgatchs, huns et joujans. »

Bouvier-Ajam pense qu’Attila a rencontré un gouverneur chinois (en fait tabgatch) et a signé avec lui un traité.

« Aetius, pris en tenaille entre les troupes de Galla Placidia et Théodose, ordonne à Litorius de défendre Arles et, sans perdre de temps, part avec son fils pour la Hunnie. Attila accueille son ami à bras ouverts et tape son fils sur l’épaule:
- Comment le temps passe vite ! Quand j’ai quitté l’Italie, Gaudentius n’avait que deux ans. Maintenant il est déjà un jeune et brave officier. D’ailleurs, mon fils Ellak a déjà dix-huit ans.
Aetius, content de ce chaleureux accueil, sourit :
- Gaudentius a quatre ans de plus qu’Ellak. Je suis au courant que vous avez fait avec votre fils le voyage au pays de vos ancêtres et jusqu’à la Grande muraille de Chine. Vous êtes certainement les plus grands voyageurs de notre temps ! »

On dit que « les voyage forment la jeunesse ». Attila avait certainement le plus vaste horizon intellectuel parmi les grands souverains de son époque, il était beaucoup mieux informé.

  « Attila prend l’air sérieux :

- Mais, pendant ce voyage, il se passait chez vous des évènements étranges : Galla Placidia reconnaît comme vainqueur une personne qui a perdu toutes les batailles en Afrique. Elle frappe une médaille à l’honneur, on ne sait, de quelles victoires, le désigne commandant de toute l’armée romaine et le nomme patrice.
Aetius dit d’une voix fatiguée :
- Elle ne peut pas me pardonner le soutien de Jean et l’intervention des Huns, ses concessions involontaires. Placidia voulait, en s’appuyant sur le comte Boniface et le roi Théodoric, me supprimer et se délivrer de la dépendance des Huns. Elle diffusait les rumeurs les plus absurdes sur moi afin de me compromettre. Boniface est allé jusqu’à la fabrication de fausses lettres ! Maintenant je suis déclaré insurgé et Sébastien, le fils incapable de Boniface, est proclamé Protecteur de l’empire !
Attila pose plusieurs questions. Avec l’air indigné d’une personne injustement accusée, Aetius répond vite et avec assurance :
- Je défendais mon honneur. Et je ne pouvais pas admettre que Boniface, incapable, léger et perfide, commande toute l’armée à cette époque difficile. Je l’ai vaincu en duel honnête. Dieu nous a jugés. Quant aux Wisigoths, presque tous leurs rois meurent des mains des assassins. Ils ne sont pas capables actuellement d’une vie politique stable. Afin de préserver la paix et maintenir l’ordre, je dois devenir commandant en chef de toute l’armée romaine et patrice. Je vous demande donc de me donner encore une fois une forte armée.
Attila réfléchit :
- Dans les intérêts de la paix et de l’ordre à l’Ouest et dans nos propres intérêts nous te soutiendrons. Je parlerai aujourd’hui avec mon oncle.
Aetius se réjouit :
- Merci mon cher Attila ! Nous pourrons alors assurer ensemble l’ordre de l’Afrique et de l’Espagne jusqu’à l’Oural et la mer d’Aral ! Mais seulement nous devons nous presser et agir très vite. La dernière fois, je suis arrivé trois jours trop tard. Seulement trois jours! Si alors je n’étais pas arrivé en retard, nous n’aurions maintenant aucun problème ! »

Aetius et Jean, eux-aussi, avaient sans doute les grands projets politiques.

  « Oros regarde attentivement Attila :
- Pendant votre voyage au pays de nos ancêtres, circulaient des rumeurs étranges sur les relations entre Aetius, Boniface et Placidia. On disait qu’Aetius était perfide et menait un double jeu. Je commence à beaucoup douter des qualités humaines de ton ami et je ne lui accorde plus une aussi grande confiance qu’auparavant. Mais il a raison de dire que nous n’avons effectivement pas le temps pour de longues réflexions.
Les deux khans commencent l’analyse de la situation et discutent des conditions du contrat avec Aetius :
- Nous lui accorderons une armée de cavaliers. Je pense que, comme la dernière fois, soixante mille cavaliers lui suffiront. Maintenant, nous pouvons mobiliser une telle armée en dix jours. Il faut engager davantage de guerriers qui parlent latin, trouver tous les anciens officiers huns de la Garde romaine impériale et de la cavalerie romaine. On peut désigner comme adjoint d’Aetius un de nos princes ayant le titre de général romain. Cela permettra en plus de demander une rémunération digne de leurs titres. Il faut mettre toutes les tribus et tous les détachements militaires en état d’alerte. »

Beaucoup de Huns étaient officiers et même généraux romains. L’empereur Honorius, les patrices Stilicon et Aetius avait chacun une garde hune.

« Cela exige de grands efforts et engendre le risque d’une guerre avec les deux empires romains. On ne peut pas plaisanter avec de telles choses ! En 425, la situation était plus simple. Nous pensions aider un empereur légal élu par le sénat et il n’existait pas un risque grave similaire. Par conséquent, Aetius doit assumer des obligations beaucoup plus fortes que la première fois.
Le khan Oros dit :
- Nous vérifierons ensuite les rumeurs sur l’incertitude et la perfidie d’Aetius. On ne peut cacher la vérité dans un sac. En attendant nous agirons en conformité avec les commandements de Modoun khan et utiliserons les méthodes de contrôle de l’exécution des contrats testées pendant des siècles. Aetius doit prêter deux serments solennels de fidélité à ses engagements : devant nous et devant toute l’armée, et nous laisser des otages. Avec qui est-il venu ?
- Avec son fils Gaudentius.
Satisfait, Oros remarque :
- Il est prêt à tout et a tout prévu. Comme il nous connaît bien ! Par contre, nous ne comprenons pas bien son âme romaine compliquée. »

On peut supposer que les lois de Modoun Khan ont codifié le système du contrôle des peuples vaincus avec la prise des otages, des serments de fidélité, de leur imposition, etc

  « Les troupes en partance sont rangées devant les portes principales de la capitale. Le vent fait flotter les étendards et les drapeaux, les cuirasses et les casques des guerriers brillent au soleil. Dans chaque détachement, le soir précédent, les chamans blancs ont effectué la purification des armes par la fumée. Aetius passe en revue, sous le roulement des tambours, bas et solennel, tous les détachements de l’armée et s’arrête devant Oros et Attila. Il descend de cheval et se tient dans une pose respectueuse devant les khans, assis en selle. Le silence s’installe. Aetius prononce en hun le serment solennel de fidélité et embrasse l’étendard royal, bleu clair avec le soleil et la lune. Ensuite un évêque chrétien avec la Bible s’approche de lui. Aetius répète son serment en latin avec la main sur le livre sacré. Le khan Oros lui remet solennellement l’étendard de combat, Aetius l’embrasse et le remet à Marc qui se tient derrière lui.
Le khan Oros sort le glaive et le lève vers le ciel :
- Je nomme le général Aetius qui vient de nous prêter un serment solennel de fidélité, commandant de l’armée afin de réaliser notre accord conclu pour rétablir l’ordre sur la terre. Au nom de Tangra et en conformité avec les lois de Modoun khan je vous permets, vaillants guerriers des tribus solaires, de retirer vos armes de vos fourreaux sur son ordre.
Aetius et tous les guerriers sortent les glaives, les lèvent vers le ciel et crient trois fois :
- Hourrah! Ourouï ! Aïkhal !
Aetius donne un ordre et l’armée, détachement après détachement, sous le roulement des tambours, défile devant les khans dans un ordre irréprochable et se met en marche. Anxieux, Gaudentius regarde la cérémonie. Il reste dans la suite d’Attilla, les autres otages romains seront envoyés dans la deuxième capitale des Huns et d’autres villes au fond des steppes. »

« Le serment solennel, fait à face de Tengri, est garanti par Lui, d’où sa valeur insigne et son inviolabilité »  (Roux, Religion … , p. 120) .

« Dès le début de l’an 435, Attila adopte officiellement le titre d’empereur et se dit le «Roi empereur» ou «Empereur du Nord, roi des Huns». Ces titres montrent, qu’il se considère comme le fondateur et le chef souverain d’une grande fédération des pays et des peuples autonomes créée sous l’égide des Huns. Tous les khans et princes vassaux, les rois des peuples germaniques et scythes, les chefs des autres peuples soumis lui portent un serment solennel de fidélité. Mais Attila a bientôt une occasion de voir encore une fois la perfidie de Théodose et de ses conseillers.

En 437, les émissaires de Constantinople violent l’accord de Margum et entreprennent une tentative de corruption des princes du peuple hunnique Ak-at-seri, en distribuant de l’or et des cadeaux précieux. Aux yeux d’Attila, les princes, qui violent les conditions de cet accord et les lois de Modoun khan, sont deux fois coupables. Sachant que, pendant ce temps, des troubles ont commencé parmi les Alains caucasiens, qui étaient les vassaux des Huns depuis déjà soixante ans.
Tous les princes huns, impliqués dans des négociations séparées avec les messagers du gouvernement de Constantinople, sont supprimés selon les lois sévères de Modoun khan. On évite par respect de faire couler du sang pour les princes les plus influents : on leur casse les vertèbres, on les étouffe en remplissant leur gorge avec de petits cailloux, on les place dans des sacs cousus puis jetés sous les sabots de la cavalerie. Les moins puissants sont décapités, on utilise même des supplices spectaculaires comme la crucifixion empruntée aux Romains.
Le prince principal Kourdak reste vivant puisque c’était lui qui avait prévenu Attila de l’arrivée des émissaires romains. Pourtant il est clair pour Attila, que le vieux prince n’accomplissait pas bien ses devoirs.
Conscient du danger le menaçant, Kourdak se réfugie avec ses plus fidèles dans les montagnes et répond à l’invitation d’Attila de venir le voir de façon éloquente :
- Je suis une personne ordinaire qui peut devenir aveugle, s’il ose regarder fixement le soleil. Comment puis-je alors regarder le visage du Grand khan semblable au soleil et placé sur le trône par la volonté de Tangra !
Attila décide de cesser la poursuite du vieux prince, mais de le priver du pouvoir. Il proclame son fils aîné Ellak khan de la Hunnie orientale. Le peuple Ak-at-seri, qui pouvait être sévèrement puni par suite de l’avidité de ses chefs, était content d’une telle issue à une situation aussi délicate.

L’année suivante, Attila perd son frère Bleda, le deuxième chef de l’Empire hun. Personne ne le remplace. Ainsi l’empereur Attila, roi des Huns, renforce davantage son pouvoir afin de consolider le jeune Empire hun qui était en fait une grande fédération de peuples autonomes. C’est pourquoi il est particulièrement bienveillant pour Ardaric, le roi des Gépides et Valamir, le roi des Ostrogoths, qui accomplissent soigneusement leurs devoirs de vassaux.
Progressivement le pouvoir de l’empereur Attila se renforce tellement qu’Oreste voit souvent, satisfait et admiratif, la foule des autres rois et les chefs des divers peuples, l’accompagnant, épiant ses moindres mouvements et dès qu’il leur faisaient un signe du regard, chacun d’eux, en silence et en tremblant, venait se placer près de lui ou exécutait les ordres qu’il avait reçus ; Attila, roi des rois, seul, veillant sur tous et pour tous. »

Les propos de Kourdak parlent beaucoup sur la perception du pouvoir d’Attila par les Huns.

  « En 439, un miracle confirme l’origine divine du pouvoir d’Attila. Un berger hun de la steppe, à l’est du Don, voit boiter une de ses génisses. Il examine les pieds de l’animal et voit une blessure. Suivant avec attention la trace sanglante, il découvre avec une immense surprise la pointe d’un glaive d’or, qui sort perpendiculairement de la terre. Les anciennes tribus scythes avaient un dieu de la guerre et de la victoire, Ar-Es, qu’ils représentaient par une épée. C’est pourquoi, tout de suite, la trouvaille de cette épée s’interprète dans les steppes de la mer Noire comme un message divin.

La rumeur de cette découverte se répand rapidement du Danube jusqu’à la frontière chinoise, de la mer Baltique jusqu’à la mer Caspienne. Des feux de joie s’allument chez toutes les tribus hunniques, qui considèrent, elles-aussi, la trouvaille de l’épée d’or comme un message de Tangra. Dieu donnait à l’empereur hun la victoire, il l’informait qu’il était de son côté pour toutes ses affaires et l’engageait à aller de l’avant dans la réalisation de ses projets.
Les états voisins et les empires éloignés sont informés par les ambassadeurs. Ainsi Edecon visite de nouveau la Chine. Les empereurs romains félicitent Attila de cette trouvaille extraordinaire. Les chefs et les représentants des peuples de l’Empire hun et des régions voisines viennent à la capitale admirer l’épée divine.
Attila expose cette épée dans une salle de son palais en mettant à côté d’elle un superbe fourreau scythe en or. On admire deux têtes opposées de bovidés et la double frise de cavaliers chassant des gazelles sur la poignée, le décor ciselé de la lame de part et d’autre de son arrêt central. Le fourreau est orné de magnifiques bas-reliefs d’animaux en lutte : griffons, lions, cerfs et cheval ; un lion-griffon, cornu et ailé, prêt à bondir, sur l’attache.
Plusieurs chefs alliés prêtent serment de fidélité à Attila et deviennent ses vassaux, de nombreuses tribus neutres deviennent des alliées. »


La trouvaille de l’épée d’or a été un des évènements marquants de la vie d’Attila et a beaucoup frappée l’imagination de ses contemporains.

« Honoria rêvait de gens honnêtes et courageux, directs comme elle. Elle souffrait dans cette atmosphère de meurtres, d’intrigues et d’hypocrisie. Elle tentait de parler avec sa mère, mais Galla Placidia était entièrement absorbée par les intrigues contre le perfide Aetius, si puissant grâce au soutien des Huns.

***
Elle entendait tout le temps parler des Huns. Honoria les avait vus pour la première fois en 425, année d’angoisse pour sa famille, quand les détachements de leur cavalerie, dans un ordre irréprochable avec les armures et les armes étincelantes au soleil, ont passé en fier défilé devant la colline où elle se trouvait à côté de son frère, qui venait de devenir empereur, et sa mère devenue régente. La princesse avait alors huit ans. Elle sentait la nervosité de sa mère et de son entourage. C’était Aetius qui commandait ce défilé, il venait ensuite à Ravenne toujours accompagné de ses officiers et des gardes huns.
On parlait beaucoup du passage de l’ambassadeur Oreste au service d’Attila. Alors Honoria comprit, que les Huns ne sont que des hommes braves et courageux, mais que leurs rois mènent une grande politique. Comme tout le monde, Honoria était éblouie par la nouvelle de la trouvaille par Attila de l’épée d’or de la Victoire.
Elle comprend qu’Attila est aussi un empereur au même titre que les empereurs romains, qu'il n’est pas faible et sans caractère comme son bon oncle Théodose mais, tout au contraire, qu'il a des projets intéressants et la volonté de les réaliser. Honoria n’attendait pas de son oncle un héroïsme militaire ou de l’art stratégique. C’était un bon juriste, un grand codificateur du droit romain, mais il n’utilisait même pas cette compétence pour la gestion de son pays.
L’empire était dirigé par deux Augusta en lutte et les Grands eunuques. Honoria voyait que la cour de Constantinople copiait les mœurs de la cour persane, étrangères à elle. Par exemple, les eunuques ne jouaient pas un grand rôle à Ravenne, tandis qu’à Constantinople, ils étaient organisés en puissante corporation selon le modèle persan. Il leur était facile de trouver une entente avec Pulchérie qui limitait l’accès au palais des hommes.
Honoria voit dans son rêve Attila sur un cheval blanc avec une épée d’or. Elle n’était pas depuis longtemps avec un homme. Et elle veut tellement aimer un vrai homme ! Mais Attila est, quand même, un Barbare. Eh bien, quoi alors ? En effet, sa mère Galla Placidia était marié au roi barbare Ataulphe. Mais elle a fait cela dans les intérêts de Rome. Le noble Oreste est passé au service d’Attila, d’après lui, aussi dans les intérêts de Rome ! Mais si elle, Honoria, se mariait avec Attila, elle ferait pour Rome beaucoup plus. Ataulphe était un petit chef en comparaison de l’empereur Attila derrière lequel suit la foule des rois ! Alors cesseront les intrigues du perfide Aetius. Rome recevra la cavalerie invincible et les frontières de l’Empire romano-hunnique s’étendront jusqu’à la Chine !
Mais Attila aime beaucoup Kerka. On dit qu’elle est très belle et très intelligente. Devenir la deuxième femme ? Elle, princesse romaine, qui était Augusta et avait donc avec son frère Valentinien presque les même droits sur l’Empire romain d’Occident ! Non, Honoria ne peut être que la première ! »

Les Romains se considéraient tellement supérieurs aux autres peuples, qu’ils ne pratiquaient pas les mariages dynastiques dans les buts diplomatiques.

« - Ils ont osé piller les tombes des princes huns ! Et vous dites que c’est un évêque de Margum qui a commis ce crime !
Cet incident grave, qui choque terriblement l’empereur du Nord, se produit au mois de juin de 441, quelques jours après la fête du Soleil.
Oreste confirme :
- Notre patrouille a remarqué l’évêque Andoche avec ses hommes, quand il démarrait pendant la nuit du bord du Danube, loin des endroits ordinaires de traversée. La patrouille a suivi leurs traces découvertes derrière les tombeaux pillés.
Onégèse lance avec amertume :
- Et c’est une personne qui apprend aux autres la morale, consacre plusieurs heures par jour aux enquêtes judiciaires et aux procès, délibère des jugements !
Attila dit tristement :
- C’est le crime le plus lourd pour les peuples des steppes.
Onégèse rappelle un exemple historique significatif :
- Quand Darius, le roi des Perses, a décidé de soumettre la steppe et après une longue marche a proposé aux Scythes de lutter, ces cavaliers lui ont répondu: «Trouvez et pillez les tombes de nos ancêtres, alors nous nous battrons sûrement !» Bien sûr, Darius n’a pas fait un tel sacrilège et est rentré dans son pays avec son armée fatiguée.
Attila conclut :
- C’est triste, que cet incident ait eu lieu près de Margum, où nous avons signé un traité qui devait servir au renforcement des relations pacifiques, mais qui était toujours violé par Constantinople. La coupe de notre patience déborde ! La Foire internationale de Margum commence bientôt. Il n’est pas exclu qu’il y ait une tentative de vente des objets pillés. J’ordonne d’effectuer un raid pendant cette foire et de confisquer l’argent et les objets précieux chez les participants romains pour le remboursement du dommage et afin de chercher des pièces à conviction contre l’évêque ! S’il tombe sous la main des guerriers, il faut l’arrêter pour l’interroger !
L’ordre d’Attila est exécuté par un détachement hun, mais l’évêque ne se trouve pas à la foire au moment du raid.

***
Après ce raid, commence un échange de lettres entre les deux empereurs. D’abord, c’est Théodose, qui exprime sa surprise de l’attaque de la foire internationale et suppose que ce raid est organisé par des éléments incontrôlables. C’est pourquoi il propose à «son ami, l’empereur des Huns» de trouver et punir ces coupables.
Attila répond que les sujets de son Empire sont obéissants et expose en détail les raisons du raid à la foire et demande l’extradition de l’évêque Andoche. Théodose ordonne d’interroger l’évêque qui naturellement n’avoue pas le crime terrible et reporte toutes les accusations sur les voleurs de tombes.
Théodose conseille alors à Attila, qu’il considère comme une personne éduquée et civilisée, de s’adresser à la justice contre l’évêque et de fournir les preuves. Après avoir lu cette lettre, Attila ne peut se retenir de rire :
- Cette réponse est digne du rédacteur du «Code de Théodose» !
Onégèse remarque en riant :
- Cette compilation des lois romaines est la seule affaire utile à la vie de cet empereur. Toutes les autres affaires sont gérées par Pulchérie et Eudoxie qui se chamaillent entre elles.
Attila prend l’air sérieux :
- Selon nos lois, les voleurs sont punis tout de suite après la découverte de leur culpabilité et sans une longue procédure. Comment Théodose peut-il admettre l’idée, que l’empereur de la Hunnie peut s’adresser comme une partie civile au tribunal romain ! Il faut donc lui apprendre sur les champs de batailles qu’il faut être plus respectueux de l’Empire hun ! Qu’il nous livre immédiatement l’évêque Andoche en toute conformité avec les coutumes et le droit international !
Cette réaction de l’empereur des Huns bouleverse Oreste qui réalise pour la première fois que ce conflit peut dégénérer en guerre. Il se souvient des mots d’Attila : « Constantinople ne respecte pas toutes les conditions du traité de Margum. Notre patience touche à sa fin. Encore un incident grave et l’Empire romain d’Orient sera puni ! »  
Dans la lettre suivante Théodose demande de lui envoyer la liste des objets volés. Attila réagit brutalement. Il dit au messager romain :
- Transmettez à votre empereur, que je lui ne répondrai plus. Je demandais l’extradition du criminel et non le début d’une procédure bureaucratique. Je vais aller moi-même l’arrêter sur votre territoire.
Quand le messager est sorti, Attila ordonne :
- Commencez les manœuvres le long de la frontière du Danube! Expédiez des messagers à tous les princes avec l’ordre de mobilisation des troupes pour une grande guerre ! »

Il est probable que sans cet incident Attila aurait continué les relations pacifiques avec l’Empire romain d’Orient.
En effet, les Huns étaient maîtres les vastes et fertiles pâturages des bords de la Volga, au nord du Caucase, dans les steppes de l’actuel Ukraine. Ils n’avaient pas de raisons économiques sérieuses qui pouvaient les pousser à l’invasion dans les monts des Balkans et dans les forêts de l’Europe occidentale.

« L’évêque Andoche voit du mur de Margum comment les troupes hunes se réunissent sur l’autre rive du Danube autour des drapeaux avec des croix tangraïstes flottant au vent. Il entend les sons des tambours et des trompettes.
L’évêque tremble à l’idée que l’empereur Théodose, si inerte, peut le sacrifier pour éviter la guerre : « Que faire ? Il n’y a qu’une solution. Envoyer à Attila un messager avec une proposition... Mais quelle proposition ? Que peut-il accepter ? La vie en échange de Margum ! Pourquoi pas ! Margum est une forteresse puissante. Pour Attila, ce serait donc intéressant de prendre une telle forteresse sans perdre un seul guerrier. Peut être, accepterait-il de me laisser évêque de cette ville ou d’une autre ! Il n’existe aucune autre solution ! »
L’empereur du Nord accepte la proposition d’Andoche et l’évêque ouvre aux troupes hunes les portes de sa ville. Maintenant une grande guerre est inévitable.
Attila monte sur un haut sommet, détache sa ceinture d’or et la suspend autour de son cou. Puis il s’assoit sur la pierre et communique toute une journée avec Dieu. Sur son ordre des centaines de milliers de guerriers devront se mettre en mouvement, recevront la permission d’utiliser leurs armes. Il y aura des victimes, y compris innocentes, toutes les horreurs de la guerre : les massacres, les incendies et les destructions, les pillages et les viols. Les troupes devront être nourries par les habitants des territoires conquis. Mais on aura plus de victimes sans cette guerre. Les diplomates et les émissaires de Constantinople ne se calment pas, essayent de soulever contre les Huns les peuples de l’Empire bâti avec de si grands efforts et de susciter l’hostilité des voisins. Ils ne comprennent pas qu’il n’y a rien de plus terrible que l’anarchie des steppes, y compris, pour les voisins ! Attila répondra devant Tangra et sa conscience pour sa décision difficile prise pour l’ordre et la paix dans la Grande steppe, pour la consolidation de l’Empire du Nord, pour la future «pax hunna-romana ». »

Le rite, simple et naturel, de la communication avec Tangra n’a pas dû changer de l’époque d’Attila à celle de Gengis Khan. Les sommets de hautes montagnes suscitent toujours les sentiments élevés, surtout chez les gens qui associent Tangra avec le Ciel éternel.
.
  « Bientôt Théodose signe sa lettre à Attila, où il exprime son accord :
- de céder la Pannonie et extrader les transfuges; accepte que ses ambassadeurs doivent être des hommes d’Etat de haute situation ;
- pour la neutralité de la région de Naïsse afin de l’organisation chaque année de la Foire internationale ;
- pour le maintien des garnisons mixtes dans les forteresses au nord de Constantinople et la préservation de la garnison hune à Athyras ;
- de créer une commission mixte sur la démarcation de la nouvelle frontière ;
- de créer une commission mixte permanente, chargée des questions relatives aux déplacements et aux activités des Romains et des Huns en dehors de leurs nouvelles frontières ;
- pour la transmission des propositions romaines et hunes à l’arbitrage d’Onégèse avec les obligations de se soumettre à sa décision, l’octroi à lui de toute l’information nécessaire à la prise de sa décision et la création de toutes les conditions pour son travail.
Outre cette lettre scellée par le sceau impérial, l’ambassade de Maximin transporte dix-sept transfuges huns enchaînés. Non loin de Constantinople, à Athyras, les Romains sont attendus par les guerriers huns qui doivent les accompagner jusqu’à la capitale d’Attila. »

Il est surprenant de voir dans ce traité antique les conditions stipulant la création des commissions et des garnisons mixtes, l’organisation d’une Foire internationale.

« La caravane de l’ambassade passe par des endroits ravagés par la guerre. Le matin et dans la journée, on mange en hâte, pour ne pas perdre de temps durant ces courtes journées de février. Mais, chaque soir, Maximin s’arrange pour suivre les coutumes romaines et organise des dîners avec ses hôtes honorables, Oreste et Edecon. Un de ces dîners faillit se transformer en scandale diplomatique.
D’abord, ce sont les Huns qui commencent à louer leur empereur, grand vainqueur de la guerre. Les Romains exaltent les vertus de Théodose.
Un peu ivre, Vigilas se montre comme grand admirateur de son souverain:
- L’empereur Théodose a reçu la meilleure éducation au monde, il est le plus grand juriste de tous les temps et de tous les les peuples. En outre, il est grand écrivain et peintre.
Oreste remarque :
- Attila a reçu aussi une bonne formation. Il puise ses connaissances partout, sans négliger aucune source, recueille soigneusement l’information sur les sujets qui l’intéressent. Il est le plus grand voyageur de notre temps qui a visité des pays très lointains et inconnus tandis que votre Théodose ne sort pratiquement pas de son palais. C’est pourquoi, on peut accepter à la rigueur qu’ils aient un niveau à peu près égal d’éducation. Quant à la fonction la plus importante de n’importe quel empereur, qui est le commandement des forces armées, alors il est clair, qu'on ne peut rien comparer et la supériorité d’Attila devient évidente.
Irrité, Vigilas lance :
- A quoi bon discuter ? Comment peut-on comparer un être humain même génial à un dieu ? L’empereur romain Théodose est un dieu, tandis que votre Attila n’est qu’un homme !
Silence. Tous sont choqués. Pour les chrétiens la divinisation de l’empereur était une coutume païenne dépassée. Pour les Huns le pouvoir d’Attila était certainement donné par Dieu, mais aucun mortel, même leur grand empereur et surtout pas l’empereur peureux romain n’était un dieu. Les Huns, offensé par l’orgueil excessif de Vigilas, veulent châtier immédiatement ce Romain, se trouvant en territoire occupé par leur armée. Maximin et Priscos réussissent à calmer tout le monde et à changer de sujet de conversation.
Mais la tranquillité ne dure pas. Bientôt un des Romains lâche une bourde, en regardant les ruines d’une ville détruite par la guerre :
- Où les Huns passent, l’herbe ne repousse pas !
Tous les Huns s’écrient fort. Oreste et Edecon sont indignés par cette remarque sans façon et quittent le dîner malgré les excuses sincères de Maximin. Cependant Priscos croit remarquer que certains Huns poussaient des cris guerriers en considérant cette remarque déplacée comme un compliment. »

Ainsi une déclaration célèbre : « Où Attila passe, l’herbe trépasse » appartient aux Romains, effrayés pas ses victoires.

 « La banquet commence à trois heures de l’après-midi. Chaque visiteur, selon la coutume hune, reçoit la permission d’entrer dans la salle seulement après avoir bu une coupe de vin à la santé et à la prospérité d’Attila. La table de l’empereur et son divan sont disposés sur une estrade élevée au milieu de la salle où l’on montait par plusieurs degrés. Derrière, sur la même estrade, il y a encore une table et un divan pour les convives les plus distingués. Les tables sont couvertes de nappes blanches et les divans par des tapis et des fourrures. Le khan Ellak est assis à côté de son père avec le regard respectueusement baissé.
Sur deux côtés sont rangées de petites tables rondes destinées chacune pour trois ou quatre invités. Les Romains sont placés sur la partie gauche, moins honorable à leur avis. Maximin proteste contre la violation de l’étiquette diplomatique, voyant que ce n’est pas lui qui occupe la place honorable de leur table, mais le général hun Berik. Mais les responsables de banquet ne l’écoutent pas. »

Le nom « Berik » peut être traduit comme « celui qui donne ».

« Après la cérémonie obligatoire de la nourriture de l’esprit du feu, le banquet commence. Chaque table est servie par un échanson et une serveuse. La vaisselle est en or et en argent. Seul, Attila mange et boit dans de la vaisselle en bois. En plus, il mange principalement de la viande cuite, tandis que l’on couvre la table trois fois pour les invités et toujours avec des plats les plus différents. Le protocole interdit de toucher aux plats éloignés et Priscos regrette en silence de n’avoir pu déguster certains mets curieux qui éveillaient ses désirs. »

La description de ce banquet par Priscos est, heureusement, très détaillé. On voit qu’il ne cède en rien aux banquets et dîners diplomatiques contemporains.

« Attila lève sa coupe et propose un toast pour son convive le plus honorable, qui se lève à son tour et exprime ses vœux les plus respectueux à l’empereur. Après quelques toasts, l’atmosphère devient plus gaie, la conversation autour de toutes les tables s’animent. Seulement Attila garde l’air sérieux et ne sourit pas. Lui et Ellak ne parlent pas beaucoup, tristes à cause de la maladie de Kere-ko.
Le soir, on allume des flambeaux et des lampes. Viennent deux conteurs qui exécutent des fragments de la poésie épique héroïque et des poèmes en l’honneur des victoires d’Attila. Dans la salle s’installe un silence profond. Les Huns écoutent avec les yeux brillants et seulement parfois accompagnent l’exécution par des exclamations d’approbation. Priscos croit voir que les vieillards pleurent de la douleur de ne plus pouvoir partager la gloire et les dangers des batailles et les jeunes guerriers se chargent d’énergie pour leurs exploits futurs.
Une telle réaction orageuse produit une forte impression sur les Romains. Attila conserve son inflexible gravité, il est majestueux et un peu triste. Quand les conteurs sortent, entre un vieux guerrier tenant dans ses mains Er-Nak, un petit fils d’Attila. L’empereur se transforme, il prend avec un sourire tendre son enfant, l’embrasse et caresse tendrement ses joues.
Étonné par un tel changement brusque de la conduite d’Attila, le jeune Grec demande à un Hun assis à côté et qui parle assez bien latin :
- L’empereur semble assez froid avec ses fils ainés, ici présents. Pourquoi est-il tellement tendre pour Er-Nak ?
Le Hun lui chuchote :
- Ne parlez à personne de ce que je vous dis. Un grand chaman a prédit que les fils aînés d’Attila n’auront pas de descendance régnante. Ce ne sont que les descendants d’Er-Nak qui continueront dignement ses actions. C’est pourquoi il aime tellement ce garçon.
Quand les Romains remarquent que les bouffons entrent pour leur représentation, ils décident de quitter poliment le banquet. »

On peut traduire « Er » comme « un vrai homme ». Er-Nak est devenu fondateur de la dynastie des khans bulgares.
 
« Après l’échec de ce complot stupide, Oreste et Esla sont envoyés à Constantinople. Ils se présentent au palais impérial et exigent d’être reçus immédiatement par Théodose. L’empereur vaincu ne peut qu’accepter leur demande. Les ambassadeurs selon l’étiquette de la cour de Constantinople étaient obligés de se mettre à plat et de ramper vers l’empereur sur le ventre de la porte jusqu’au trône, sans lever la tête, embrasser sa botte rouge et sortir de la salle de la même manière, en rampant en arrière du trône jusqu’à la porte. Mais les envoyés huns ne respectent plus ces règles depuis longtemps.
Les ambassadeurs d’Attila entrent dans la salle et sous les regards inquiets des courtisans s’approchent de Théodose d’un pas assuré. Chrysaphius, placé à côté du trône remarque avec effroi sa bourse pendue sur le cou d’Oreste. L’empereur garde l’air grave et fier mais sent la nervosité du Grand eunuque et comprend avec une grande déception que le complot est déjoué.
Les ambassadeurs saluent froidement l’empereur, puis Oreste s’adresse à Chrysaphius :
- Reconnaissez-vous votre bourse, témoignage de votre crime ? Vigilas est arrêté.
Sans attendre sa réponse, Esla commence à lire la déclaration d’Attila, en la coupant en courtes phrases, afin de souligner toute son importance :

« Théodose est le fils d’un père illustre et respectable.
Attila descend aussi d’une noble famille,
et il a soutenu par ses actions la dignité
que son père Mundzuk lui a transmise ;
mais Théodose s’est rendu indigne du rang de ses ancêtres ;
en consentant à payer un tribut honteux,
il se fait son vassal. »

Le visage de l’empereur, habitué aux paroles flatteuses, exprime la surprise mais Théodose se tait, incapable de nier cette constatation de sa situation réelle après les défaites de ses armées. Esla continue la lecture du message d’Attila :

« Il doit donc respecter celui
que les capacités et la chance ont placé au-dessus de lui,
et non pas, comme un esclave perfide,
conspirer contre la vie de son maître. »

Oreste voit Théodose rougir et trembler de cette vérité incontestable, terrible et gênante pour lui. 

L’impact international de cette démarche diplomatique est immense. Les rois germaniques et d’autres chefs barbares sentent, que, sous leurs yeux, naît un nouveau monde. Maintenant le fier empereur Théodose était obligé de supporter toutes les humiliations, reconnaître le titre significatif «Empereur du Nord, roi des Huns» d’Attila. Ainsi Attila, le roi des Huns a obtenu la reconnaissance diplomatique de sa qualité de suzerain de l’Empire romain d’Orient, tandis que la dépendance de l’Empire romain d’Occident des Huns n’était un secret pour personne, et de sa qualité d’empereur d’une grande fédération de presque tous les autres pays et peuples européens politiquement organisés !
Tout en conformité avec la volonté d’Attila, Théodose lui a envoyé comme ambassadeurs ses deux patrices Anatolius et Nomus, c’est-à-dire, les personnalités ayant la situation la plus haute de «pères, très chers et bien aimés» de l’empereur. Ils sont arrivés avec le tribut de l’Empire Oriental romain et de riches cadeaux. Attila était touché et a adouci ses revendications. Il a même cru pendant quelque temps à la possibilité d’une amitié sincère avec les représentants éminents de la noblesse romaine. »

Marcel Brion, de l’Académie française, pensait : «A quelque nation qu’ils appartiennent, les hommes d’Etat ne peuvent plus nier aujourd’hui que le plan de ce roi, un des plus grands que le monde ait connus, était l’unité européenne ... Ce plan s’était imposé à son génie, quand il avait vu accourir vers lui les princes germains et les représentants des paysans gaulois, des Ibères et des Britons, des Scandinaves et des Grecs. Tous ceux qui ne voulaient pas voir une anarchie détestable s’installer dans les ruines de Rome ...» (Brion, Théodoric, roi des Ostrogoth, Tallendier, 1979, p. 162).


« Le palais impérial de Constantinople était agité par la nouvelle de la mort de l’impératrice hune Kere-ko qu’on appelait ici Kerka. On disait qu’Attila avait brûlé par désespoir le palais de sa femme devenu terriblement vide !
Le cœur d’Honoria bat d’une admiration involontaire. Attila est non seulement un élu de Dieu qui a reçu l’épée d’or divine, mais il est encore capable d’un grand amour ! Comme Honoria, elle-même ! Il est le fondateur du nouvel empire victorieux, elle est une princesse, ayant droit sur le trône de l’empire ancien et prestigieux qui a été privé de son titre d’Augusta par suite des intrigues d’Aetius et de Valentinien. Maintenant, après la mort de Kerka, elle peut devenir l’impératrice hune et donner à Attila le droit à la possession de la moitié de l’Empire romain d’Occident !
Honoria ne trahit personne, elle veut sauver la civilisation romaine. C’est Valentinien qui l’a trahie, ayant ordonné de tuer son cher Eugène ! Et Théodose après avoir essuyé la défaite avec le glaive, a décidé de vaincre Attila par le poison ! Quelle lâcheté ! Avec quelle intelligence et habilité il a été remis à sa place et ridiculisé par Attila !
Non, elle n’a pas pitié de son frère et de son oncle! Mais elle épargnera leurs vies, les enverra au couvent prier Dieu de leur pardonner leurs grands péchés. D’ailleurs, ils prient Dieu tout le temps. Mais il n’ont pas de foi sincère dans leurs âmes. Malgré sa fanatique religiosité, Augusta Pulchérie a ordonné au comte Saturnun de tuer deux prêtres proches de l’ancienne impératrice Eudoxie. Non, il faudra les envoyer en exil dans une périphérie éloignée de l’Empire hun, par exemple, en Sibérie.
Honoria voit de nouveau Attila sur un cheval blanc avec son épée d’or dans son rêve. Non, il ne faut plus attendre. La décision est prise. Elle sera la première dame du monde ! Il faut envoyer à Attila un messager sûr avec une lettre et une bague de fiançailles.
A qui confier cette mission délicate et discrète ? Bien sûr à Jacinte ! Ce jeune serviteur est très positif à la différence des autres eunuques et éprouve pour elle une sympathie et une amitié sincère. Toutes ces années, ils ont beaucoup parlé et Jacinte la comprend bien, il faut seulement discuter encore avec lui comment mieux répondre aux questions de l’empereur hun.

***
Attila est ému. Il a éprouvé le même sentiment, quand le berger hun lui a apporté l’épée d’or de la Victoire trouvée dans la steppe de la mer Noire. Tangra lui donne maintenant la main d’une fière princesse, héritière du trône d’un empire, et de quel empire!
Il presse le messager de questions :
- Racontez moi tout sur la princesse. Quel âge a-t-elle ? Est-elle belle ? Est-elle intelligente ? Pourquoi n’est-elle pas mariée ?
Jacinte raconte tout ce qu’il sait :
- Honoria est belle, elle est fidèle et sincère, elle était malheureuse et mérite plus que toutes les autres femmes aide et amour...
Attila écoute attentivement le récit, pose de nouvelles questions. Sans aucun doute, Honoria lui est envoyée par Dieu, lui-même, pour faciliter la réalisation du plan de la création de l’Empire romano-hunnique. Il suffit de rendre à Honoria son titre d’Augusta et ils auront toute la légitimité de gouverner l’Empire romain d’Occident. Ainsi, Attila et Honoria composent un couple idéal pour gouverner ensemble le futur Empire romano-hunnique.
Attila tape gentiment Jacinte à l’épaule et lui dit :
- Oreste me parlait un peu du destin de la princesse Honoria. Mais votre récit m’a touché. Je perçois comme un grand honneur la proposition de la princesse et je vais envoyer un ambassadeur à Ravenne afin de demander à l’empereur Valentinien l’autorisation pour Honoria de venir dans notre capitale. »

Cet acte de la princesse Honoria est bien analysé par Michelle Loi.

« Après le passage du Rhin, Attila envoie une armée sous le commandement d’Onégèse à l’ouest. Après la prise de la ville d’Arras cette armée se disperse en éventail et sort par un large front sur le bord de l’océan.
Sabir parvient à la Seine avec son millier de cavaliers, à la fin du mois d’avril, suit le fleuve et arrive jusqu’au Grand océan occidental. Regardant les ondes de l’océan, Sabir se souvient des récits de son grand-père à propos de la mer Baïkal et des mers chaudes chinoises. Il organise à cette occasion avec ses guerriers une grand fête. Il a dejà soixante ans et il ne lui reste plus beaucoup de temps pour participer encore aux opérations militaires. Un ancien officier de la Garde impériale romaine a pour cette fête quelques bouteilles de vin des bords de la Moselle, il trouve du jambon gaulois, pêche des huîtres et des crabes. Ses jeunes guerriers, venus la plupart de Sibérie, regardent avec une grande surprise comment leur vieux commandant mange des créatures vivantes inconnues d’eux avec du vin blanc.
Sabir a réalisé son rêve et est heureux. Il a vécu une vie, remplie d’événements intéressants, a protégé l’Italie et la Gaule contre les Barbares. Il est venu maintenant avec ses guerriers afin de défendre la princesse Honoria, qui souhaite avec Attila établir la paix et l’ordre sur la terre. Malheureusement, les habitants irraisonnables de certaines villes, les partisans du traître et du parjure Aetius, ont résisté. Ont péri des compagnons d’armes. Il fallut punir et venger. Dans ce cas les guerriers deviennent cruels. En effet, l’insoumission au khan à qui Dieu a expédié l’épée d’or de la Victoire et a exprimé tant d’autres signes de sa bienveillance, ou son offense, sont l’insoumission à Dieu et son offense. C’était toujours comme ça. Au ciel, il n’y a qu’un Dieu et Sabir croit, qu’un jour il ne sera qu’un souverain sur la terre. Alors enfin, règnera la paix. Attila a fait beaucoup pour cela. Sabir souhaite silencieusement que ce souverain du monde soit Attila ou un de ses nobles fils et boit sa coupe jusqu’au fond. »

Sabir, officier hun (personnage littéraire), est un vrai tangraïste, par conséquent, il se considère comme un « combattant pour la paix universelle ».

« Attila monte avec ses généraux et les rois vassaux sur la colline de Monmartre et commence à admirer la vue de Lutèce Parisiorium, qu’on commence à appeler brièvement Paris. C’est une petite ville bien fortifiée. Surtout son centre, qui se trouve dans une île de la Seine.
Arrive au galop un officier de reconnaissance qui rapporte d’une voix étonnée :
- Grand khan, les citadins se comportent d’une façon extrêmement bizarre!
- Que font-ils ?
- Ils chantent !
En effet, le vent chaud de mai porte de temps en temps les sons du chant d’un chœur éloigné. Tous sont stupéfiés. Attila demande :
- Que chante-t-on ?
Confus, l’officier murmure :
- Je ne comprends pas le latin.
Attila décide d’aller lui-même écouter ce chant si extraordinaire et ordonne à Oreste et à sa Garde de le suivre. Quand ils s’approchent des murs, le chant devient de plus en plus fort. Attila s’arrête à une distance de tir. Sur le sommet plat d’une tour il voit un grand chœur féminin, dirigé par une jeune femme dans des vêtements blancs et avec des cheveux d’or. Attila prête l’oreille aux paroles. De belles voix féminines demandent à Dieu d’apaiser la colère d’Attila et de sauver leur ville de la destruction, leurs maisons des incendies, les enfants et les maris de la mort.
L’empereur hun se rappelle soudain son inoubliable Kere-ko, ensuite la pauvre Honoria et son cœur se serre d’une compassion inattendue pour ces femmes qui ont réussi à exprimer leurs sentiments à cette heure de danger par des chants partant de leurs âmes. La femme aux vêtements blancs se tourne vers Attila et le salue poliment, après celle-ci, toutes les autres femmes le saluent aussi.
Les portes s’entrouvrent et un prêtre sort et s’adresse à l’empereur hun :
- Grand empereur, roi des Huns ! Nous vous demandons de ne pas toucher notre petite ville paisible, ne représentant aucun danger pour votre armée. Nous sommes prêts à payer notre modeste tribut.
Attila demande :
- Nous allons vers Orléans. Pouvez-vous nous garantir, que vous n’attaquerez pas nos arrières ?
- Les citadins ne veulent pas intervenir dans votre lutte avec Aetius. Nous déclarons solennellement, qu’aucun soldat de la garnison ne sortira de nos murs et ne participera à la guerre contre vous !
Attila dit avec un sourire :
- Remerciez vos femmes. Elles chantent si bien!
- C’est Geneviève qui a organisé les femmes et a dit que vous êtes un homme éduqué, croyant comme nous en un Dieu unique, que vous pouviez écouter nos demandes et nos prières. Nos femmes ont prié pendant plusieurs jours et ont persuadé tous les habitants de rester dans la ville. Grâce à sa vie modèle depuis son plus jeune âge, la distribution aux dimunus de l’héritage de ses parents riches, ses visions admirables et ses capacités, elle jouit d’une immense autorité à Paris.
- C’est très étonnant ! Transmettez mon admiration pour son esprit extraordinaire, sa foi profonde et sa sagesse. Elle a sauvé la ville !
Attila brandit gentiment la main. Geneviève comprend tout et donne un signe à la première chanteuse, qui commence avec sa belle voix un hymne de remerciement.

Émus, Attila et Oreste remontent la colline. L’empereur s’adresse aux généraux :
- Nous ne perdrons pas de temps et les vies de nos guerriers pour une petite forteresse située dans une île et les fortifications entourées par les marais. J’ordonne aux armées d’aller vers Orléans !
Puis il se tourne vers Oreste :
- Occupe-toi de la gestion des territoires occupés, des communications et de l’approvisionnement de l’armée, ainsi que de l’exportation des trophées, des butins et des tributs des villes de la Gaule !

Un jour après, aux alentours de Paris il ne reste plus aucun guerrier hun. Sur la ville n’est tombée aucune balle de catapulte, aucune flèche n’a été tirée par les cavaliers des steppes contre ses défenseurs. Paris fête le miracle trois jours et trois nuits. La jeune Geneviève devient l’idole des citadins et la sainte protectrice vivante de Paris. »

Je reconnais que cette scène avec Sainte Geneviève est trop belle. J’ai essayé d’écrire un livre aussi véridique que possible. Mes sources principales sont les oeuvres de R. Grousset, M. Brion, J.-P. Roux, G. Chaliand, L.N. Goumilev, M. Bouvier-Ajam, E. Gibbon et d’autres auteurs sérieux. Mais pour cette scène j’ai eu une inspiration étrange, mon stylo a écrit presque automatiquement. Mais peut-être je n’exagère rien. Il y a aucun témoignage viable du siège de Paris par Attila.

« Aignan, a-t-il deviné ces pensées d’Aetius ou a-t-il senti que les forces des défenseurs s’épuisaient et que la résistance ultérieure provoquerait la fureur des Huns et la mort certaine de tous les citadins et les soldats, mais il décide de commencer les négociations avec Attila. C’était une décision difficile. L’exemple de Paris l’encourageait. Mais Orléans résiste aux Huns pendant quatre semaines. C’est vrai que les Huns n’ont pas encore attaqué la ville, ils étaient encore dans la phase de destruction des murs et des portes avec l’aide des béliers et des catapultes. Bien sûr, ils ont subi des pertes, mais pas encore assez pour provoquer l’acharnement des guerriers. D’ailleurs, au nord de la Gaule, des villes étaient détruites pour une moindre résistance. D’autre part Aignan doute beaucoup qu’Aetius soit capable de vaincre Attila sous les murs d’Orléans et de libérer la ville. En effet, Attila a détruit plusieurs grandes armées romaines pendant la guerre avec l’Empire romain d’Orient et l’Empire romain d’Occident cédait à deux reprises sans bataille aux armées hunes, relativement petites, venues en aide à Aetius. Aignan n’a aucune certitude sur les intentions véritables d’Aetius. Dans de telles conditions il est ridicule de penser à une défense héroïque et au sacrifice de la garnison et des habitants. La conscience d’Aignan est tranquille. En effet, il a prévenu Aetius qu’Orléans ne peut pas résister longtemps. Non, il ne doit penser qu’au sauvetage de la ville et ne pas continuer une résistance absurde et inutile.

Attila rencontre Aignan assez froidement :
- Au début du siège, vous étiez prévenu de toutes les conséquences de la résistance. Vous savez parfaitement que je suis venu en Gaule sur l’invitation de votre princesse Honoria injustement privée de son titre d’Augusta. Vous savez aussi que le général Marcien à Constantinople est devenu empereur seulement grâce à son mariage avec Augusta Pulchérie. J’ai aussi l’intention de devenir votre empereur légal et de gouverner ensemble avec Honoria au lieu de cet incapable Valentinien que vous avez critiqué si courageusement pendant votre visite à Ravenne. C’est pourquoi vous deviez au moins rester neutre, et ne pas résister avec autant d’acharnement. Votre ville sera bientôt prise et rasée de la surface de la terre.
- Ayant détruit notre ville vous resterez dans les mémoires pour les siècles suivants comme un conquérant cruel et impitoyable. Nous sommes prêts à cesser la résistance et vous ouvrir les portes. Je vous demande seulement de ne pas tuer les habitants et les soldats, de ne pas détruire et incendier la ville. Si nous faisons comme ça, nous garderons les vies de milliers de vos et de nos soldats. Alors la mémoire de votre acte noble sera transmise de génération en génération!
Attila réfléchit :
- C’est vrai, vous avez raison !
Ensuite il sourit :
- Je veux qu’on commence à me percevoir comme un futur codirigeant de l’Empire romain et le garant de l’ordre et de la paix. Les destructions des villes au nord n’étaient effectuées que par suite de considérations stratégiques et de la résistance des habitants.
Aignan se réjouit de l’amélioration de l’humeur de l’empereur hun. Attila prend l’air sérieux :
- J’accepte vos conditions. Demain matin vous ouvrirez les portes et nos troupes, choisies pour cette opération, entreront dans la ville. Toutes vos armes doivent être déjà chargées sur les chariots. Nos guerriers expérimentés, ayant servi plusieurs années en Gaule et connaissant bien les coutumes et la vie romaines, visiteront toutes les maisons et confisqueront bijoux et autres objets de valeur. Vous comprenez certainement que c’est une petite punition pour vous être laissé imprudemment entraîné dans un conflit armé par une partie incapable de vous protéger.
Prudent, Aignan préfère garder le silence.

Pour la majorité des chercheurs européens, non informés de la religion tangraïste pratiquement méconnu en Occident, le respect d’Attila par rapport aux évêques reste très énigmatique.

  « Loup, évêque de Troyes, encouragé par l’exemple de Geneviève et d’Aignan, sort de sa ville, rencontre Attila et s’entend vite avec lui. Ils décident que Troyes paiera le tribut aux Huns, ne participera pas aux actions militaires contre Attila et donnera des otages en garantie de cet accord. Loup est prêt à devenir lui-même un des otages afin de sauver les citadins, mais l’empereur hun libère le vieil évêque après une conversation amicale. Les habitants de Troyes perçoivent leur sauvetage comme un grand miracle et Loup, comme Aignan à Orléans et Geneviève à Paris, commence à être perçu comme un saint protecteur vivant de sa ville. »


Grâce à Attila, l’église catholique a quatre saints : Léon, Geneviève, Aignan et Loup qui n’ont subi aucune violence physique de la part des Huns. Presque tous les saints avant eux étaient des martyrs.

« L’armée hune traverse la Seine et avance par une route romaine vers la ville de Châlons et entre dans les Champs catalauniques. Attila est impatient de voir ses guerriers reposés et sa cavalerie atteint vite le camp principal à l’endroit de la fusion de la Marne et de l’Ornain. L’infanterie germanique reste en arrière sans protection de la cavalerie. Les troupes d’Aetius les suivant et ne les ayant pas dérangés jusque là, tous sont assez insouciants. Les troupes du roi gépide Ardaric s’attardent dans la presqu’île formée par la Seine et l’Aube afin de se reposer deux jours dans cet endroit, protégé par l’eau de deux côtés…

A l’occasion de l’heureux achèvement de cette campagne militaire, Attila organise une grande Fête du Soleil.
En regardant les jeux guerriers, le général Berik dit à Attila :
- Les cavaliers se sont bien reposés. Dans le courant de cette campagne nous avons subi peu de pertes. Les deux derniers mois se sont passés sans batailles. Pendant ce temps tous les blessés se sont rétablis, tous les mutilés sont rentrés dans leurs pays. Les cavaliers voudraient maintenant terminer la campagne par une grande bataille sur ces champs pour raconter ensuite leurs exploits.
Attila approuve cette idée :
- Je l’ai pensé aussi, mais attendais que quelqu’un le propose. Il sera bien de battre Aetius. Dans tous les cas une bataille sur cette plaine vaste ne présente aucun danger pour notre cavalerie. Nous verrons de quoi sont encore capables ces Romains misérables.
Il regarde Oreste, Onégèse, Edecon et ses fils se trouvant à ses côtés :
- Nous ébranlerons l’imagination des peuples par une bataille gigantesque! Mais nos pertes doivent être minimales. Ce n’est que la première année de la guerre !
Un chaman, qui l’accompagne, dit :
- J’ai vu cette bataille en rêve. Il ne sera ni vainqueur, ni vaincu, mais ton grand ennemi sera tué.
Attila s’exclame :
- C’est parfait ! Cette fois ça me suffit.
Arrive au galop un cavalier :
- Les Francs d’Aetius ont attaqué l’armée gépide qui dormait. La bataille a duré toute la nuit, il y a beaucoup de morts et de blessés. Ardaric est obligé de quitter son camp, pour rejoindre nos forces principales.
Attila s’étonne :
- Je ne pensais pas, qu’Aetius oserait nous déranger. C’est un peu dommage que nous ayons déjà évacué une partie de nos troupes de la Gaule.
Il ordonne au roi ostrogoth Valamir :
- Envoie ta cavalerie afin de protéger le retrait d’Ardaric ! »

J’ai visité à plusieurs reprise les Champs catalauniques. Sur ces vastes plaines, la victoire de l’infanterie romaine sur la cavalerie hune a été impossible contrairement à ce que déclarait plus tard la propagande romaine et gothe. Les alliés des Romains désorganisés ont quitté le champ de bataille : le roi des Wisigoths a été tué (d’ailleurs par un noble Ostrogoth), les Alains ont déserté, les Burgondes ont été chassés hors des Champs catalauniques.


Attila et Léon

Après cette analyse de la religion et de la civilisation des Huns nous pouvons aborder et élucider une grande énigme historique : celle de la rencontre d’Attila et du pape romain Léon.

« A Rome la peur devant les Huns se transforme en panique. L’empereur Valentinien et plusieurs nobles Romains sont prêts à se sauver à bord des navires vers Constantinople. Mais cette solution ne serait que temporaire. Après la victoire sur l’Empire romain d’Occident, Attila mettra sûrement de nouveau à genoux l’Empire romain d’Orient ou le supprimera. Dans cette situation, tous veulent des négociations avec les Huns. Où est la princesse Honoria ? Il faut la marier avec Attila ! Mais alors que deviendra le pauvre empereur Valentinien ? Peu importe, ne pensons pas à lui à un tel moment terrible ! L’essentiel, c’est de rester vivant, on verra ensuite que faire !
L’empereur Valentinien se décide à envoyer une délégation aux Huns. Il faut essayer d’éviter le pire, demander à Attila ses conditions, aller avec des cadeaux, être prêt aux revendications humiliantes, accepter le paiement du tribut annuel. Le Sénat vote unanimement les négociations et désigne comme ambassadeurs les deux sénateurs les plus respectés. La réunion des habitants de la Ville éternelle approuve cette décision.
Une nouvelle réunion du Sénat en présence de l’empereur, des ministres et des généraux. Qui présidera l’ambassade ? La question est difficile. Aucune garantie qu’Attila recevra des ambassadeurs dans une telle situation, si favorable pour lui. Peut-être, peut-on envoyer son ancien ami Aetius ? Plusieurs sénateurs et les conseillers de l’empereur objectent violemment. En effet, on ne peut pas prévoir sur quoi Aetius tomberait d’accord avec Attila car il est capable de tout ! Puis on se rappelle qu’en Gaule les évêques Aignan et Loup ont trouvé un accord avec Attila. On dit qu’ensuite Loup a même écrit une lettre à Attila avec la demande de relâcher les otages donnés par la ville de Troyes. Et Attila a renvoyé ces otages ! Progressivement, tout le monde accepte l’idée que la délégation doit être dirigée par le pape romain Léon. »

Ainsi Attila a mis au genoux deux Empires romains.

« Le 4 juillet 452, la délégation romaine arrive au Pont de Mantoue. La chaleur est torride. Oreste, prévenu par un messager, range une garde d’honneur au débouché du pont. Il aperçoit le cortège vers onze heures du matin. Le pape est accompagné par les sénateurs Avientus et Trigetius et dix diacres tout de blanc vêtus, dont un porteur de l’étendard pontifical et un porteur du crucifix d’argent, dix légionnaires en grande tenue et avec des armes d’apparat, tous à cheval. Deux légionnaires portent en flancs et croupes d’énormes sacs de cuir.
Oreste les accueille au milieu du pont. Léon, prévenu par Aetius des coutumes hunes, descend de cheval en signe de respect. Oreste en fait autant et le pape perçoit ce geste comme un bon présage. Puis la délégation, conduite par Oreste, traverse le pont sous les regards curieux de la Garde hune. A cinq heures du soir, dans la magnifique tente impériale, commence un dîner donné par Attila en l’honneur du pape romain Léon. Attila, vêtu à la romaine, a décidé que le dîner doit se passer dans une ambiance amicale. Il invite le pape à s’asseoir en face de lui, place Avientus à sa droite et Trigetius à sa gauche. Léon a Onégèse à sa droite et Edecon à sa gauche. En bout de table sont placés les secrétaires des délégations, d’un côté, Prosper d’Aquitaine, et de l’autre côté, Oreste, qui a accepté pour cette occasion exceptionnelle le rôle de secrétaire de la délégation hune. »

Ce dîner est bien décrit par Bouvier-Ajam.

« Les mets et les vins sont délicats. Afin de diminuer la tension des Romains, Attila commence à parler couramment, en latin et grec, du temps, des années de ses études en Italie, de ses voyages dans les pays lointains. On aborde ensuite des sujets différents et les plus agréables possibles. Attila comprend vite, avec grand regret, que Léon ne parle pas grec, c’est pourquoi, par la suite il ne parle que latin. »

Saint Léon, un des plus grands papes romains, a été moins éduqué qu’Attila !

« Léon est charmé par l’empereur hun si éduqué et mondain. Les Romains commencent à espérer pouvoir s’entendre avec lui. Et voilà, Attila propose à Léon d’examiner toutes les questions politiques, en tête à tête, le lendemain.
Après ce dîner si amical, Léon se sent en sécurité relative et commence à se préparer à une longue conversation tranquille. Il éprouve un grand intérêt pour son partenaire, puissant et terrible. En effet, Attila, qui traitait les empereurs romains Théodose et Valentinien comme ses vassaux, pouvait se comporter avec Léon très brutalement. Le pape s’imagine ce que pourraient faire d’Attila, dans le cas de sa défaite, les empereurs romains et même les évêques, impitoyables avec les païens, les ariens, les donatistes et les autres adversaires. Léon ne s’endort pas avant longtemps. En effet, pourquoi Attila est-il si gentil avec lui, pourquoi était-il tellement attentif aux demandes des évêques et aux prières de Geneviève en Gaule? »

Plusieurs années après la mort d’Attila, les Romains ont réussi à encercler l’armée de son fils Denghizikh dans les montagnes en coupant les deux sorties d’une vallée. Tombé ainsi en piège, il a été tué par les Romains et sa tête a été exposé dans le cirque de Constantinople.

« L’après-midi du 5 juillet, l’empereur des Huns et le pape romain tiennent leur conversation confidentielle. Attila commence naturellement par l’analyse de la situation politique et militaire, catastrophique pour les Romains. Léon soupire involontairement :
- Vous avez certainement raison ! Il est impossible de nier des choses évidentes. La situation pour les Romains est vraiment catastrophique. Je n’ai pas de raisons de douter que vous deveniez bientôt le maître de l’Italie et réaliserez ensuite votre rêve de la création de l’Empire romano-hunnique que vous avez évoqué tout à l’heure. Je ne vous pose qu’une question principale : que sera dans ce cas le sort de l’Eglise et de la population chrétienne ? Les chrétiens jusque récemment étaient poursuivis cruellement par l’état. J’ai peur que de nouvelles épreuves ne les attendent.
Attila remarque :
- Dans mon empire, les chrétiens, comme les représentants des autres religions, se sentent tranquilles. Les centaines de milliers d’Ostrogoths et les autres Germaniques sont chrétiens, sans parler des anciens Romains de la Dacie et de la Pannonie, des Grecs de la mer Noire et des villes balkaniques, occupées par nous. Des millions d’habitants des steppes du Danube jusqu’à la Chine croient aussi en un Dieu unique et tout puissant.
Le pape écoute avec grand intérêt cette déclaration et s’anime :
- Malheureusement les Goths sont ariens. Nous avons des différends importants.
Attila l’interrompt :
- Nous trouvons que plusieurs voies peuvent conduire vers le même Dieu. En plus, je ne pense pas qu’un simple Goths comprenne la différence entre les divers courants du christianisme. Dans tous les cas, je vous promets après la création de l’Empire romano-hunnique le soutien officiel de l’Eglise chrétienne et l’aide à la christianisation volontaire des habitants de l’Espagne et de l’Afrique jusqu’à la frontière chinoise.
Surpris, le pape s’exclame involontairement :
- De l’Espagne et de l’Afrique jusqu’à la frontière chinoise ! »

Es-ce que aujourd’hui beaucoup de chrétiens comprennent la différence entre les religions catholiques et orthodoxes, les discussions sur la « filioque » ? 

« Attila sourit :
- Les Huns pensent qu’il sera un jour un souverain sur la terre comme il n’y a qu’un seul Dieu dans le ciel. Alors vous pourrez répandre votre foi parmi tous les peuples.
Léon se souvient que les Francs et plusieurs autres peuples germaniques restent encore païens et continuent à apporter des sacrifices humains, qu’une partie de la population de la Gaule extermine les missionnaires chrétiens. Pour le christianisme encore faible, récemment devenu religion d’Etat, qui n’a pas encore lancé de racines profondes dans la conscience même de la population des Empires romains, s’ouvre une perspective ambitieuse dans cette situation politique dramatique. Léon revient de son étonnement :
- Vous savez, je suis réaliste, et pas rêveur. Mais votre proposition est extrêmement séduisante. Je réfléchirai. »

Bouvier-Ajam a presque compris une raison principale d’entente entre Attila et Léon mais il n’avait aucune idée de la religion tangraïste et même pensait que les Huns étaient athées.

 « Attila le regarde attentivement :

- En fait, vous êtes aussi constructeur d’un empire comme moi. Grâce à vos réformes, la papauté romaine devient une force politique sérieuse. La cour papale ressemble maintenant à la cour impériale. Les évêques dépendent de plus en plus de vous. Je suis ravi de voir l’évolution de cet empire invisible sans aucunes frontières. Votre création peut survivre même à la disparition éventuelle des deux Empires romains. Je vous trouve comme l’homme le plus sage de la Terre !
Léon est flatté et dit très sincèrement :
- Merci pour la compréhension ! C’est très difficile pour moi, je fais de grands efforts comme vous le faites aussi. Cette ambassade est la toute première grande mission diplomatique de l’église catholique et je voudrais, que mon intervention soit couronnée de succès.
Attila le regarde dans les yeux et dit lentement :
- Je compte que l’Eglise puisse aider à la consolidation et garantir la stabilité du futur Empire romano-hunnique. Je propose de commencer sérieusement à réfléchir sur la possibilité de notre future union sur la base d’une communauté d’intérêts. Je peux aider l’Eglise à l’élargissement rapide de sa sphère d’influence. Nous discuterons de cette question en détail, quand je viendrai en Italie la prochaine fois.
Le pape tressaille involontairement. L’empereur continue tranquillement :
- Pour moi la victoire militaire n’est pas la chose la plus importante. Pour cette année, il me suffit de gagner votre amitié et votre compréhension. Votre mission sera couronnée d’un grand succès. Je suis d’accord pour quitter l’Italie avec mon armée à la condition de... »